Garde-corps de Virginie Martin

Garde-corps de Virginie Martin.

Lemieux éditeur, 2016, 170 pages, 15 €, ISBN 978-2-37344-073-7.

Genre : premier roman.

Virginie Martin a étudié à Sciences-Po Paris ; elle est professeur, chercheur et politologue ; elle est spécialiste du féminisme et des extrémismes. Elle a déjà publié un essai, Ce monde qui nous échappe (L’Aube, 2015) et Garde-corps est son premier roman.

Carnavet, dans le Vaucluse, au début des années 80. Gabrielle est violée par Patrick, un ado plus âgé du collège, dans une maison en ruines derrière le stade. « J’avais 11 ans, bientôt 12 et j’étais devenue une pute. » (p. 27). « En dix minutes, les ruines s’étaient installées dans ma vie, en dix minutes j’avais eu peur, j’avais basculé, j’avais touché l’horreur. » (p. 33). Presque trente ans plus tard, Gabrielle, devenue Parisienne, est ministre du travail. Elle est élégante, chic mais pas bling-bling, elle a une voiture avec chauffeur et un garde du corps. « Je ne suis pas cynique, c’est plus compliqué. J’évite les coups. Je me fabrique. Je me polisse. Je suis une image parfaite. » (p. 16). « Ce soir j’ai une télé. […] C’est bon pour moi. Enfin, c’est bon si j’assure, si je ne me plante pas, si je garde mon sang froid face aux adversaires, si le journaliste, Raphaël Eger, ne vient pas trop me chercher, si les réseaux sociaux ne m’assassinent pas. Si toutes les conditions sont réunies, alors c’est bon pour moi. » (p. 29). « Les années passent, je suis seule au fond de moi et je me forge une sacrée carapace, un sacré tempérament. Je travaille, je fais du sport, parfois même je rigole, mais d’une certaine manière, je ne suis plus tout à fait là. […] j’écris, je lis, je rêve. J’attends. » (p. 57). Mais le destin va remettre Patrick Cantini sur sa route.

Gabrielle Clair assure au niveau professionnel car elle n’a pratiquement pas de vie privée. Elle est pourtant de plus en plus fatiguée, angoissée, déprimée mais il ne faut rien montrer, à personne, elle ne peut faire confiance à personne ! Alternant chapitres contemporains et flash-back, Gabrielle raconte sa vie de jeune quadra et de ministre et sa « rencontre » avec Patrick tout en se rappelant son enfance brisée, son adolescence, ses parents, ses années de lycée puis la Sorbonne, Oxford, l’ENA et son ascension politique. C’est cru, c’est cruel, mais il y a tant de fillettes et d’adolescentes qui sont abusées, violées, que ce roman est, je dirais, indispensable ! Toutefois, je comprends que beaucoup de lecteurs aient été choqués et ne l’aient pas apprécié, d’autant plus que, s’il est intéressant au niveau de ce parcours de femme, le style n’est pas formidable… Mais je comprends aussi ce que veux dénoncer l’auteur, la violence faite aux femmes dès le plus jeune âge, l’impunité, le cynisme, et puis aussi la résilience, même si les traces, les séquelles sont là, bien présentes. « Je me suis emmurée tout au fond de moi. » (p. 93).

Un roman coup de poing lu dans le cadre des 68 premières fois 2016, oui je sais j’ai du retard dans la publication de mes notes de lectures… (merci à Sophie de me l’avoir envoyé) et que je mets dans les challenges 1 % rentrée littéraire 2016 et Défi Premier roman 2017.

Café Krilo de Baptiste Boryczka

Café Krilo de Baptiste Boryczka.

Lemieux éditeur, février 2017, 168 pages, 16 €, ISBN 978-2-37344-088-1.

Genres : littérature française,  presque science-fiction.

Baptiste Boryczka est un auteur français qui vit à Copenhague au Danemark, depuis 2003, il connaît donc bien la société danoise. Plus d’infos sur sa page FB.

« Comme beaucoup de jeunes de sa génération qui avaient choisi de rester en Europe, John n’avait pas d’argent, pas d’enfant, peu d’avenir. » (p. 7). John a étudié la littérature nordique, il est maintenant professeur et chercheur à l’université.

« […] elle feuilletait le sésame. C’était bien un passeport chinois de femme au physique européen. Il avait l’air vrai. » (p. 15). Lotte est mécanicienne dans un garage, c’est aussi une activiste féministe et anticléricale.

« Mark était un solide gaillard, fils d’ouvriers copenhaguois. Son père avait été tué lors des répressions antisyndicales d’il y a quinze ans. Avant de mourir, il s’était assuré que son fils prendrait le relais en lui expliquant l’importance de la lutte ; » (p. 24). Mark est manutentionnaire dans un entrepôt, il est aussi délégué syndical.

« L’image de ces trois jeunes adultes regardant la cheminée dans un appartement lugubre d’Europe du Nord traduisait à merveille le marasme politique et économique ambiant. » (p. 28).

Voilà les trois personnages principaux de ce roman atypique, presque de la science-fiction, et en même temps les dangers économiques, politiques, religieux sont déjà présents à notre époque et on craint qu’ils perdurent pendant plusieurs générations puisque l’histoire se déroule dans le quartier de Vesterbro à Copenhague au Danemark au XXIIe siècle. La date n’est pas donnée précisément mais l’auteur a laissé trois-quatre indices dans le roman.

Je vous invite à découvrir pourquoi-comment ses trois jeunes gens vivent dans un immeuble délabré qu’ils ont acquis il y a dix ans (chacun vit dans un appartement et possède un étage bien à soi) dans une société danoise (mais en fait cela concerne toute l’Europe) tout aussi délabrée, carrément « dans la débâcle » (p. 50), « en pleine décrépitude » (p. 57), ravagée, gangrenée par la corruption et sous l’emprise d’un régime politique et religieux tellement totalitaire que les Européens fuient en masse… en Afrique et en Asie ! Au-dessous de cet immeuble, le Café Krilo, saccagé, fermé depuis des années car il était un rendez-vous de contre-culture mais les amis s’y sont rencontrés quand ils étaient ados et rêvent de le rénover et de le rouvrir. « Le Krilo était un drôle d’endroit . » (p. 34).

Une Europe en ruines, des gouvernements totalitaires… Est-ce ce qui attend les Européens dans les prochaines décennies ? Café Krilo est un roman fort, intense, violent, presque pessimiste, mais dans chaque société répressive, que la dictature soit politique ou religieuse ou les deux, une résistance se met en place, toujours, non seulement à l’intérieur mais aussi à l’extérieur, donc il y a toujours un espoir, si minime soit-il. Pour ne pas en arriver là, à nous tous de vivre ensemble au mieux, bien sûr ce n’est pas facile, la crise se fait bien sentir et les politiques qui gouvernent – ou souhaitent gouverner – traînent derrière eux un nombre incalculable de casseroles…

L’écriture de Baptiste Boryczka est toujours aussi élégante, teintée d’humour noir, précise, intense et percutante. Café Krilo est son deuxième roman ; j’avais lu Korzen – paru en août 2015 dans le cadre de la première édition des 68 premières fois – et j’avais décidé de suivre cet auteur attentivement. Après avoir traité l’exil dans Korzen, capitale scandinave imaginaire, l’auteur raconte dans Café Krilo la vie d’Européens restés en Europe malgré les nombreuses difficultés qu’ils rencontrent. Pari réussi pour l’auteur et l’éditeur avec cette deuxième livraison et je suis ravie que l’auteur ait confirmé son talent ! Toutefois j’ai repéré quelques fautes (trois ou quatre) comme « Je ne comprendrais jamais […] » (p. 133) et « Je prendrai les mesures […] » (p . 144) : dans les deux cas, les verbes sont au futur et ne prennent donc pas de « s » ; je sais, je chipote mais c’est important que l’éditeur fasse un réel travail de relecture et correction, non ? Je vous invite à vous pencher sérieusement sur Café Krilo et le message de Baptiste Boryczka car ce jeune romancier est un visionnaire.

Je remercie Baptiste Boryczka et les éditions Lemieux et je mets ce roman dans les challenges Littérature de l’imaginaire et Printemps de l’imaginaire francophone (même s’il n’y a pas écrit science-fiction sur le roman) et Rentrée littéraire janvier 2017 de MicMélo.

PS : j’ai oublié de dire que je voulais faire voyager ce roman ! Manifestez-vous en commentaire. 😉 … Alors, Café Krilo est passé chez Krol, chez Lee Rony (lien de sa note de lecture à venir), chez Edyta, chez Alex et il a pour l’instant bien plu donc il attend ses prochains lecteurs.