Anne Carrière (titre plus édité), 1997, 352 pages. Réédition aux éditions Libre en 2018 et en 2022. Ishmael (1992) est traduit dans l’anglais (États-Unis) par José Malfi.
Genres : littérature états-unienne, roman philosophique.
Daniel Quinn naît le 9 octobre 1935 à Omaha dans le Nebraska. Il est éditeur mais abandonne l’édition en 1975 pour se consacrer à l’écriture. Il est aussi poète, écologiste, ethnologue et futurologue. Ishmael reçoit le Turner Tomorrow Fellowship Award en 1991. Ishmael est le premier tome d’une trilogie, le deuxième tome est The Story of B (qui bizarrement n’est pas traduit en français) alors que le troisième tome, Professeur cherche élève ayant désir de sauver le monde (My Ishmael) paraît chez Anne Carrière en 2000, chez J’ai lu en 2002 et aux éditions Libre en 2019. L’auteur meurt le 17 février 2018 à Houston au Texas.
J’ai lu ce livre à sa parution en France, en 1997 donc, et il m’a beaucoup marquée alors j’ai toujours voulu le relire et je l’ai sorti récemment d’un carton. Il est sous-titré L’homme une fois disparu, y aura-t-il un espoir pour le gorille ? Et, aimant beaucoup La planète des singes (films et série télévisée), je ne pouvais être qu’interpelée par ce roman philosophique !
Voici comment débute ce roman. « La première fois que je lus l’annonce, j’en fus tellement stupéfait que je jurai et jetai le journal par terre ; puis, comme si cela ne me suffisait pas, je le ramassai, me dirigeai vers la cuisine et le mis à la poubelle. Je me préparai un petit-déjeuner et m’accordai quelques instants pour me calmer et penser à autre chose en mangeant. Ensuite, je retournai à la poubelle, j’y repris le journal et l’ouvris de nouveau à la rubrique des petites annonces, juste pour voir si cette fichue annonce était toujours là et si je m’en souvenais avec précision. Elle était bien là : Professeur cherche élève souhaitant vraiment sauver le monde – Répondre personnellement. Souhaitant vraiment sauver le monde ! J’aimais la formule, qui paraissait prometteuse. Souhaiter vraiment sauver le monde – oui, c’était extraordinaire ! Avant midi, plus de deux-cents crétins, dadais, détraqués, nigauds, demeurés et tout autant de débiles mal embouchés allaient sans doute répondre à l’adresse indiquée, prêts à abandonner tout ce qu’ils possédaient en ce bas monde, uniquement pour obtenir le rare privilège de s’asseoir aux pieds d’un gourou, persuadés que dorénavant tout serait parfait, à condition que chacun se tourne vers son voisin et lui donne une large accolade. » (p. 9-10).
Plutôt que répondre par écrit, le narrateur, un trentenaire décide plutôt de se rendre à l’adresse indiquée. Il découvre une pièce avec une chaise et une pièce adjacente, […] plus sombre [et] en raison de l’obscurité qui régnait par-derrière, la vitre de la baie était noire – opaque et réfléchissante. » (p. 15). Il a alors l’impression d’être observé et effectivement il croise « une autre paire d’yeux […] la créature de l’autre côté de la glace était un gorille… en fin de croissance. » (p. 16) . Un gorille « d’une taille effrayante, une sorte de monument, un monolithe de l’âge de pierre. » (p. 16). Après la stupéfaction, la frayeur, le regard, le questionnement, l’embarras, le narrateur s’assoit enfin sur la chaise et il entend « Je suis le professeur. » (p. 19).
Le gorille commence à raconter son histoire, la forêt africaine et sa famille gorille, le zoo avec d’autres gorilles qui n’étaient pas sa famille et ses premiers questionnements, la ménagerie où des humains viennent le voir en tant que Goliath et où il apprend en secret leur langage puis le belvédère de monsieur Walter Sokolow qui le nomme Ishmael ; le narrateur lui raconte à son tour un événement de sa vie puis le gorille lui donne rendez-vous le lendemain.
Chaque jour, les deux êtres se retrouvent et dialoguent, échangent. « […] si le monde a été fait pour nous, alors il nous appartient et nous pouvons en faire ce qu’il nous plaît. – Exactement. Et c’est ce qui s’est produit sur cette terre depuis dix-mille ans : vous avez fait de ce monde ce qui vous plaisait. Naturellement, sous le prétexte que tout cela vous appartenait, vous pensiez être dans votre bon droit. » (p. 88).
La réflexion va très loin : « L’homme ne pouvait vivre nulle part comme un lion ou un phascolome… Pour parvenir à ses fins, il avait besoin de s’installer en un lieu où il pourrait en quelque sorte se mettre au travail. […] s’il s’installait en un lieu pour y demeurer plus de quelques semaines, il était condamné à mourir rapidement de faim. En sa qualité de cueilleur-chasseur, il aurait totalement tari cet endroit, et il ne lui serait rien resté à cueillir ou à chasser. […] il devait absolument apprendre à modifier son environnement afin d’éviter tout manque de nourriture ; il devait faire en sorte que cet environnement produise davantage pour lui. En d’autres termes, il devait se transformer en agriculteur. […] l’événement le plus important de l’histoire humaine jusqu’à nos jours. […] La sédentarité a donné naissance à la division du travail. Puis la division du travail a donné naissance à la technologie. […] sont apparus les échanges et le commerce. […] la machine était en marche, et tout les reste, comme on dit, ne fut que péripéties. » (p. 94-95).
L’humanité est-elle devenue « l’ennemie du monde vivant » (p. 104) ?
En relisant ce livre 26 ans après ma première lecture, je comprends pourquoi il m’avait marquée à l’époque mais, depuis, j’ai évolué, j’ai appris des choses, je pense différemment d’il y a un quart de siècle et, parfois, je ne suis pas tout à fait d’accord avec Ishmael. Par contre, je pense qu’il a raison sur plein de points (paix, diversité, écologie…) et je vous conseille de lire ce roman philosophique. « Plus vous détruisez de concurrents, plus il y aura d’hommes sur cette terre. Une fois que vous vous êtes exempté de la loi de la compétition limitée, toute chose au monde doit être anéantie, sauf votre nourriture et la nourriture de votre nourriture. » (p. 177).
Une phrase que j’aime beaucoup. « Vivre près de la nature est excellent pour l’équilibre mental. » (p. 198). Je suis bien d’accord !
« Ceux-qui-prennent croient en leur révolution, même s’ils n’en retirent aucun bénéfice. Ce ne sont pas des gens déçus, des dissidents, des contre-révolutionnaires. Ils croient tous profondément que, malgré les malheurs du moment, ceux-ci dont infiniment préférables aux malheurs du passé. » (p. 293).
Ce livre n’est rédigé que pour faire comprendre et se questionner : vaut-il mieux vivre avec Ceux-qui-laissent, qui « vivent entre les mains des dieux » (p. 317) et qui évoluent, qui font « partie de la communauté vivante en général » (p. 317) ou vivre avec Ceux-qui-prennent (depuis environ dix mille ans) et qui vont droit dans le mur car, malgré les progrès de leur technologie, ils bégaient (Homo Sapiens Sapiens) et n’évoluent plus en tant qu’humains ? « Je vois ce que vous voulez dire. Préférez vivre selon la manière de Ceux-qui-prennent signifie vivre d’une façon telle qu’elle nous conduira à la fin de la création. Si nous continuons, il n’y aura pas de successeurs à l’homme, pas de successeurs aux chimpanzés, aux orangs-outangs et aux gorilles. Pas de successeurs à tout ce qui vit actuellement sur terre. Tout va mourir avec nous. Pour rendre leur histoire vraie, Ceux-qui-prennent devront mettre un point final à la création elle-même. Et ils en ont pris résolument le chemin. » (p. 318).
Alors, est-ce que le monde appartient à l’homme et on va inéluctablement au désastre ou est-ce que l’homme appartient au monde ? Je vous laisse méditer et, pourquoi pas lire ce roman pour réfléchir avec Ishmael !
Je profite du Mois américain en septembre pour mettre cette lecture dans ce challenge.