Ishmael de Daniel Quinn

Ishmael de Daniel Quinn.

Anne Carrière (titre plus édité), 1997, 352 pages. Réédition aux éditions Libre en 2018 et en 2022. Ishmael (1992) est traduit dans l’anglais (États-Unis) par José Malfi.

Genres : littérature états-unienne, roman philosophique.

Daniel Quinn naît le 9 octobre 1935 à Omaha dans le Nebraska. Il est éditeur mais abandonne l’édition en 1975 pour se consacrer à l’écriture. Il est aussi poète, écologiste, ethnologue et futurologue. Ishmael reçoit le Turner Tomorrow Fellowship Award en 1991. Ishmael est le premier tome d’une trilogie, le deuxième tome est The Story of B (qui bizarrement n’est pas traduit en français) alors que le troisième tome, Professeur cherche élève ayant désir de sauver le monde (My Ishmael) paraît chez Anne Carrière en 2000, chez J’ai lu en 2002 et aux éditions Libre en 2019. L’auteur meurt le 17 février 2018 à Houston au Texas.

J’ai lu ce livre à sa parution en France, en 1997 donc, et il m’a beaucoup marquée alors j’ai toujours voulu le relire et je l’ai sorti récemment d’un carton. Il est sous-titré L’homme une fois disparu, y aura-t-il un espoir pour le gorille ? Et, aimant beaucoup La planète des singes (films et série télévisée), je ne pouvais être qu’interpelée par ce roman philosophique !

Voici comment débute ce roman. « La première fois que je lus l’annonce, j’en fus tellement stupéfait que je jurai et jetai le journal par terre ; puis, comme si cela ne me suffisait pas, je le ramassai, me dirigeai vers la cuisine et le mis à la poubelle. Je me préparai un petit-déjeuner et m’accordai quelques instants pour me calmer et penser à autre chose en mangeant. Ensuite, je retournai à la poubelle, j’y repris le journal et l’ouvris de nouveau à la rubrique des petites annonces, juste pour voir si cette fichue annonce était toujours là et si je m’en souvenais avec précision. Elle était bien là : Professeur cherche élève souhaitant vraiment sauver le monde – Répondre personnellement. Souhaitant vraiment sauver le monde ! J’aimais la formule, qui paraissait prometteuse. Souhaiter vraiment sauver le monde – oui, c’était extraordinaire ! Avant midi, plus de deux-cents crétins, dadais, détraqués, nigauds, demeurés et tout autant de débiles mal embouchés allaient sans doute répondre à l’adresse indiquée, prêts à abandonner tout ce qu’ils possédaient en ce bas monde, uniquement pour obtenir le rare privilège de s’asseoir aux pieds d’un gourou, persuadés que dorénavant tout serait parfait, à condition que chacun se tourne vers son voisin et lui donne une large accolade. » (p. 9-10).

Plutôt que répondre par écrit, le narrateur, un trentenaire décide plutôt de se rendre à l’adresse indiquée. Il découvre une pièce avec une chaise et une pièce adjacente, […] plus sombre [et] en raison de l’obscurité qui régnait par-derrière, la vitre de la baie était noire – opaque et réfléchissante. » (p. 15). Il a alors l’impression d’être observé et effectivement il croise « une autre paire d’yeux […] la créature de l’autre côté de la glace était un gorille… en fin de croissance. » (p. 16) . Un gorille « d’une taille effrayante, une sorte de monument, un monolithe de l’âge de pierre. » (p. 16). Après la stupéfaction, la frayeur, le regard, le questionnement, l’embarras, le narrateur s’assoit enfin sur la chaise et il entend « Je suis le professeur. » (p. 19).

Le gorille commence à raconter son histoire, la forêt africaine et sa famille gorille, le zoo avec d’autres gorilles qui n’étaient pas sa famille et ses premiers questionnements, la ménagerie où des humains viennent le voir en tant que Goliath et où il apprend en secret leur langage puis le belvédère de monsieur Walter Sokolow qui le nomme Ishmael ; le narrateur lui raconte à son tour un événement de sa vie puis le gorille lui donne rendez-vous le lendemain.

Chaque jour, les deux êtres se retrouvent et dialoguent, échangent. « […] si le monde a été fait pour nous, alors il nous appartient et nous pouvons en faire ce qu’il nous plaît. – Exactement. Et c’est ce qui s’est produit sur cette terre depuis dix-mille ans : vous avez fait de ce monde ce qui vous plaisait. Naturellement, sous le prétexte que tout cela vous appartenait, vous pensiez être dans votre bon droit. » (p. 88).

La réflexion va très loin : « L’homme ne pouvait vivre nulle part comme un lion ou un phascolome… Pour parvenir à ses fins, il avait besoin de s’installer en un lieu où il pourrait en quelque sorte se mettre au travail. […] s’il s’installait en un lieu pour y demeurer plus de quelques semaines, il était condamné à mourir rapidement de faim. En sa qualité de cueilleur-chasseur, il aurait totalement tari cet endroit, et il ne lui serait rien resté à cueillir ou à chasser. […] il devait absolument apprendre à modifier son environnement afin d’éviter tout manque de nourriture ; il devait faire en sorte que cet environnement produise davantage pour lui. En d’autres termes, il devait se transformer en agriculteur. […] l’événement le plus important de l’histoire humaine jusqu’à nos jours. […] La sédentarité a donné naissance à la division du travail. Puis la division du travail a donné naissance à la technologie. […] sont apparus les échanges et le commerce. […] la machine était en marche, et tout les reste, comme on dit, ne fut que péripéties. » (p. 94-95).

L’humanité est-elle devenue « l’ennemie du monde vivant » (p. 104) ?

En relisant ce livre 26 ans après ma première lecture, je comprends pourquoi il m’avait marquée à l’époque mais, depuis, j’ai évolué, j’ai appris des choses, je pense différemment d’il y a un quart de siècle et, parfois, je ne suis pas tout à fait d’accord avec Ishmael. Par contre, je pense qu’il a raison sur plein de points (paix, diversité, écologie…) et je vous conseille de lire ce roman philosophique. « Plus vous détruisez de concurrents, plus il y aura d’hommes sur cette terre. Une fois que vous vous êtes exempté de la loi de la compétition limitée, toute chose au monde doit être anéantie, sauf votre nourriture et la nourriture de votre nourriture. » (p. 177).

Une phrase que j’aime beaucoup. « Vivre près de la nature est excellent pour l’équilibre mental. » (p. 198). Je suis bien d’accord !

« Ceux-qui-prennent croient en leur révolution, même s’ils n’en retirent aucun bénéfice. Ce ne sont pas des gens déçus, des dissidents, des contre-révolutionnaires. Ils croient tous profondément que, malgré les malheurs du moment, ceux-ci dont infiniment préférables aux malheurs du passé. » (p. 293).

Ce livre n’est rédigé que pour faire comprendre et se questionner : vaut-il mieux vivre avec Ceux-qui-laissent, qui « vivent entre les mains des dieux » (p. 317) et qui évoluent, qui font « partie de la communauté vivante en général » (p. 317) ou vivre avec Ceux-qui-prennent (depuis environ dix mille ans) et qui vont droit dans le mur car, malgré les progrès de leur technologie, ils bégaient (Homo Sapiens Sapiens) et n’évoluent plus en tant qu’humains ? « Je vois ce que vous voulez dire. Préférez vivre selon la manière de Ceux-qui-prennent signifie vivre d’une façon telle qu’elle nous conduira à la fin de la création. Si nous continuons, il n’y aura pas de successeurs à l’homme, pas de successeurs aux chimpanzés, aux orangs-outangs et aux gorilles. Pas de successeurs à tout ce qui vit actuellement sur terre. Tout va mourir avec nous. Pour rendre leur histoire vraie, Ceux-qui-prennent devront mettre un point final à la création elle-même. Et ils en ont pris résolument le chemin. » (p. 318).

Alors, est-ce que le monde appartient à l’homme et on va inéluctablement au désastre ou est-ce que l’homme appartient au monde ? Je vous laisse méditer et, pourquoi pas lire ce roman pour réfléchir avec Ishmael !

Je profite du Mois américain en septembre pour mettre cette lecture dans ce challenge.

Le dernier des siens de Sibylle Grimbert

Le dernier des siens de Sibylle Grimbert.

Anne Carrière, août 2022, 192 pages, 19 €, ISBN 978-2-3808-2257-1.

Genres : littérature française, roman.

Sibylle Grimbert naît en 1967 à Paris. Elle est autrice (premier roman, Birth Days en 2000) et éditrice (éditions Plein Jour fondées en 2013 avec le journaliste Florent Georgesco).

Allez, dernière note de lecture de l’année ! Il faut que je publie ce billet parce que Le dernier des siens est sûrement parmi mes trois plus grands coups de cœur de l’année.

Comment débute le roman ? « De loin seule la tache blanche de leur ventre se détachait sur la paroi de la falaise, surmontée d’un bec qui brillait, crochu comme celui d’un rapace, mais beaucoup plus long. Ils avançaient en balançant de droite à gauche ; on avait l’impression qu’ils prenaient leur temps, vérifiaient à chaque pas leur stabilité, et qu’à chaque pas ils rétablissaient leur corps par un roulement de bassin. Les hommes progressaient eux aussi avec difficulté, cherchant des appuis sur le sol détrempé et lourd de la petite île […]. » (p. 11).

Aïe, des hommes… Là où les humains passent, la faune et souvent la flore trépassent… Et que ça écrase les œufs, et que ça étrangle les pingouins pour les jeter en un tas… « Maintenant, il n’y avait plus un seul animal vivant sur l’île. » (p. 13). Immonde… Bande de pourritures !

Eldey (Île de Feu en islandais) est un îlot volcanique situé au sud-ouest de l’ouest de l’Islande. Les habitants de ce monolithe étaient des grands pingouins européens mais ils ont disparu… C’est maintenant une réserve naturelle protégée et inaccessible au public mais il ne reste que des fous de Bassan (j’ai déjà vu des documentaires).

Auguste (surnommé Gus), 23 ans, à bord de la chaloupe, voit dans l’eau un rescapé « dont un moignon d’aile cassée pendait sur son ventre » (p. 14) alors il le sauve. C’est que Gus est un jeune scientifique envoyé par le Musée d’Histoire naturelle de Lille, alors ramener un pingouin vivant, même blessé, c’est mieux qu’un pingouin mort.

Gus, installé aux Orcades (Orkney, un archipel au nord de l’Écosse), étudie le pingouin… enfermé dans une cage, « immobile, le bec enfoncé dans la poitrine, le corps tassé, comme calé sur ses pattes » (p. 16). C’est sûr qu’il vaut mieux observer discrètement les animaux dans leur milieu naturel ! Son objectif est de « le dessiner sous tous les angles possibles avant qu’il ne meure. » (p. 17).

Gus est en pension dans le village de Stromness, chez madame Bridge, pas contente de la présence de ce pingouin qu’elle trouve affreux et puant. De plus, les relations sont difficiles entre Gus et le pingouin enfermé, en colère, au regard accusateur, et qui se laisse dépérir (est-ce un comportement naturel qu’un scientifique puisse étudier ?)… Mais enfin Gus se rend compte de « sa beauté et sa majesté. […] Gus découvrait un animal unique, un animal comme il n’en avait jamais vu, dont il peinait à comprendre que c’était un oiseau. […] il fait ce qu’il doit faire, il fait ce que tous les siens font – ce qui lui permet de vivre. Il veut vivre. » (p. 31-32).

Buchanan, un habitant de l’île horrifié par les massacres, explique à Gus que le pingouin est en danger : « Ils essaieront de vendre jusqu’à une moitié de griffe du pingouin, un œil s’ils savent comment le conserver. Le marché est immense, les musées veulent des dépouilles pour enrichir leurs collections, les marchands veulent vendre des dépouilles aux musées, les collectionneurs trouveront de jolies et chères boîtes à tabac fabriquées dans les becs, si c’est à la mode. » (p. 34).

Gus se rend compte qu’il est responsable du pingouin, il devrait l’emmener en France pour qu’il soit à l’abri. En tout cas, il se rapproche de lui, comprend mieux ses besoins et l’appelle Prosperous. L’animal étant en danger avec les marins qui le veulent, Gus emmène Prosp aux îles Féroé (2e partie du roman). « Il regardait toujours Prosp, il dessinait Prosp, il écrivait sur Prosp. Tous les gestes de son animal étaient répertoriés, classés, archivés. Il en savait plus sur les grands pingouins que n’importe quel être humain sur terre en cette année 1836. » (p. 73). De plus, Gus s’est marié à Elinborg et elle s’occupe du pingouin avec lui. Gus se sent tellement proche de Prosp qu’il a l’impression de le comprendre et de ressentir les mêmes choses que lui. « Il le comprenait. Mieux, il était d’accord avec lui. » (p. 80).

Gus publie des articles dans des revues sur la faune et la flore du Grand Nord et devient une référence dans le monde scientifique.

Chez certains humains, il y a enfin une prise de conscience comme Gus qui a vu les grands pingouins massacrés ou Buchanan qui a vu un troupeau de bisons se faire égorger par des trappeurs au Canada, deux extraits de sa lettre à Gus. « J’ai vu au Canada des choses merveilleuses et affreuses. » (p. 95) et « Il paraît que c’est courant. Mais je ne pensais pas que la vue de tout ce sang, la douleur et l’incompréhension de ces animaux que les hommes achevaient juste parce qu’il était en leur pouvoir de le faire m’atteindraient autant. » (p. 96).

Gus aimerait que Prosp rencontre d’autres grands pingouins et puisse se reproduire. Le frère d’Elinborg, Signar, l’embarque pour Saint-Kilda. « Prosp criait de joie, le cou dressé vers l’horizon, la mer, les embruns. » (p. 98) mais les hommes ne voient que des phoques et des macareux, cependant Prosp sait ? a senti ? et son comportement change, « Prosp se pavanait. » (p. 99).

J’ai aimé la confiance qui s’installe entre Gus (et sa famille ensuite) et Prosp (ce n’était pas gagné, ça a été tout un travail d’approche et de compréhension mutuelles), l’affection qui les unit dans leurs similitudes et leurs différences, même si, évidemment il aurait été préférable que Prosp vive parmi les siens sans massacre… Le dernier des siens est un roman touchant inspiré de faits réels, d’un côté la violence du massacre, de l’autre l’improbable et incroyable amitié entre l’humain et le pingouin. Et puis, cette prise de conscience, bien tardive… une fois qu’il est trop tard et tellement peu d’humains se sentant concernés… Ferons-nous de même à notre époque ? Ne rien voir, ne rien comprendre, ne rien faire, agir lorsqu’il sera trop tard…?

Le dernier des siens a été sélectionné dans plusieurs prix de la rentrée littéraire et a reçu en novembre le Prix 30 millions d’amis – roman (surnommé le Goncourt des animaux) délivré par la Fondation 30 millions d’amis (à noter que le Prix 30 millions d’amis – essai a été délivré à Au nom des requins de François Sarano, un livre que j’ai acheté même si je n’ai pas pu rencontrer l’auteur lors de sa venue à la médiathèque).

Je note deux titres d’Henri Gourdin (spécialiste de Jean-Jacques Audubon) que l’autrice conseille et qui me font très envie : Le grand pingouin (Actes Sud, 2008) et Du temps où les pingouins étaient nombreux… (Pommier, 2022).

Ils l’ont lu : Céline, Delphine-Olympe, Doudoumatous, Kathel, on arrête tout, Sandrine, Yvan, c’est tout ? D’autres ?

Pour Bingo littéraire d’Hylyirio (case n° 29, un livre sur un thème ou une cause qui vous tient à cœur, 3e billet), Challenge lecture 2022 (catégorie 52, un livre qui a gagné un prix littéraire), Challenge nordique (attention, l’autrice est Française mais le récit se déroule dans le Grand Nord) et ABC illimité (lettre G pour nom).

Queenie, la marraine de Harlem d’Aurélie Lévy et Elizabeth Colomba

Queenie, la marraine de Harlem d’Aurélie Lévy et Elizabeth Colomba.

Anne Carrière, août 2021, 168 pages, 24,90 €, ISBN 978-2-8433-7962-8.

Genres : bande dessinée française, roman graphique, Histoire.

Aurélie Lévy naît en 1977 à Paris mais elle part étudier au Japon, d’abord à l’Université féminine de Nagoya puis elle étudie l’histoire et le cinéma japonais à l’ICU de Tôkyô. Ensuite, elle approfondit ses études sur le cinéma à l’UCLA (Université de Californie à Los Angeles) et s’installe à Los Angeles. Elle est intervieweuse, autrice et réalisatrice de documentaires. Elle crée aussi le podcast Écrire sur le site Actualitté.com.

Elizabeth Colomba naît en 1976 à Épinay sur Seine de parents martiniquais. Elle peint depuis l’enfance et étudie les Beaux-Arts à Paris puis s’installe à Los Angeles aux États-Unis. Elle est peintre et dessinatrice. Sur cette bande dessinée, elle est également coscénariste. Plus d’infos sur son site officiel.

Extrait de l’introduction Harlem Renaissance : « La liberté a un prix. / La liberté n’a pas de prix. L’Histoire est toujours une affaire de version. » (p. 5).

Pour situer Harlem, une presqu’île à l’ouest en face de la Statue de la Liberté, de l’autre côté de l’East River : Brooklyn, de l’autre côté de l’Hudson River : le New Jersey.

1933. Après deux mois au trou, Queenie (de son vrai nom Stéphanie Saint-Clair) sort de la prison de Bedford Hills. Le soir, ils sont à une soirée chez Charles Alston, un peintre. Le lecteur croise Duke Ellington au Cotton Club, Thelonius Monk pas encore célèbre, entre autres.

25 ans plus tôt en Martinique. « Sale petite négresse ! Tu ne seras jamais assez belle pour porter des robes comme les miennes ! » (p. 34)… Depuis, Queenie n’a cessé de se battre y compris de combattre sa peur… « Je suis une femme et un gangster, Bumpy… » (p. 61). « Tu vas prendre des coups ! Tu ne peux pas apprendre à ne pas prendre des coups. Tu peux apprendre à ne pas le redouter. » (p. 123).

Tout sur le crime organisé, ils étaient tous de la partie, les Juifs (Dutch Schultz par exemple), les Noirs (Bumpy Johnson par exemple), les Italiens (Lucky Luciano par exemple)… Et le pasteur Father Divine, « un des précurseurs du mouvement des droits civiques » (p. 166)… ils ont tous existé et ont eu affaire à la police.

Queenie aussi a existé et elle a de nombreux points communs avec Elizabeth Colomba, qui je pense n’a rien à voir avec la pègre (!) mais qui a voulu lui redonné vie grâce à cette très belle bande dessinée (roman graphique) avec un noir et blanc velouté et somptueux. Quant au scénario, il est formidable et sûrement très proche de la réalité de ces gangsters s’il y a presque un siècle.

Ils l’ont lu : La bibliothèque du Dolmen, Délivrer des livres (chez qui j’avais repéré cette BD fin mai), d’autres ?

Pour La BD de la semaine qui sort de sa pause (plus de BD de la semaine chez Moka), BD 2022, Les dames en noir, Petit Bac 2022 (catégorie Prénom pour Queenie), Polar et thriller 2022-2023, Tour du monde en 80 livres (Martinique) et aussi ABC illimité (lettre Q pour titre) et Les départements français en lectures (Elizabeth Colomba est d’origine martiniquaise).

Le bruit de la lumière de Katharina Hagena

Le bruit de la lumière de Katharina Hagena.

Anne Carrière, août 2018, 250 pages, 20 €, ISBN 978-2-8433-7883-6. Je l’ai lu en poche : Le Livre de poche, août 2020, 288 pages, 7,70 €, ISBN 978-2-25325-959-6. Das Geräusch des Lichts (2016) est traduit de l’allemand par Corinna Gepner.

Genres : littérature allemande, roman.

Katharina Hagena naît le 20 novembre 1967 à Karlsuhe (Allemagne). Elle étudie l’anglais, l’allemand et James Joyce (sa thèse de doctorat porte sur le roman Ulysse) puis travaille dans le monde universitaire. Elle vit à Hambourg où elle est écrivain. Son premier roman, paru en 2008, est Der Geschmack von Apfelkernenn ou Le goût des pépins de pomme en français (que j’avais repéré en 2010 mais pas lu). Son deuxième roman, paru en 2012, est Vom Schlafen und Verschwinden ou L’envol du héron en français (2013). Plus d’infos sur son site officiel (en allemand bien sûr).

« Salle d’attente du cabinet du Docteur Carl Nansen Dammberg, neurologue » (p. 13). Une femme attend ; devant elle, une jeune femme, une vieille dame, un homme et son jeune fils. La patiente qui attend, c’est Daphne Holt ; elle travaille au Centre de biologie du Jardin botanique de Hambourg ; elle est botaniste et est spécialisée en bryologie (mousses, lichens).

Avant ce rendez-vous, elle était en vacances à Yellow Knife au Canada où elle espérait retrouver sa collègue et amie, Thekla Kern, zoologue spécialiste des oursons d’eau (ou tardigrades), qui ne donne plus de nouvelles.

Ce roman atypique est une ode à la nature et à sa beauté. « Le lendemain matin, elle se réveilla tôt. De la fenêtre qui donnait sur le lac, elle put suivre le lever du jour. On était si près du pôle Nord que le soleil ne s’élevait pas simplement de l’eau tel un ballon, mais que le ciel tout entier commençait à brûler, bande de lumière rose et or. » (p. 49).

Au Canada, elle rencontre un Allemand, Mark, veuf, qui vit avec son fils, jeune ado, Nick. « Daphne exposa à Mark sa conviction que certaines mousses pouvaient pousser sur d’autres planètes. Et si c’était possible pour les mousses, d’autres organismes ne tarderaient pas à pouvoir survivre là-bas. Un nouvel espace de vie naîtrait dans l’univers grâce aux mousses, une nouvelle Création. » (p. 70).

Mais elle rentre subitement à Hambourg car elle souffre de vertiges, d’où son rendez-vous chez le neurologue. Et dans la salle d’attente, elle imagine des histoires, une vie fictive pour chacune des personnes qui est avant elle et qu’elle ne connaît pas du tout.

Quelle imagination ! Daphne emmène le lecteur au Canada, à Berlin, à New York, un véritable road movie depuis cette salle d’attente !

L’histoire de Daphne et les histoires qu’elle invente parlent du Canada de son artisanat (sculpture en particulier), d’aurores boréales, d’exploitation intensive (pétrole, sables bitumeux), de musique, de cuisine, de relations de couple, d’enfants, de deuil…

Mais, quel(s) lien(s) entre le voyage de Daphne au Canada et cette salle d’attente en Allemagne avec les histoires fictives ? Un indice dans le titre : bruit (sons, signal acoustique, musique) et lumière (soleil, aurores boréales) mais pas que ! « Mais vous êtes bien placée pour savoir que les histoires n’apportent jamais de réponses aux questions, elles ne font que poser d’autres questions. » (p. 228).

J’ai adoré ce roman, vraiment différent de ce que j’ai déjà lu précédemment mais je comprends que certains puissent ne pas accrocher ou décrocher. Cependant, le pouvoir de la fiction est immense et Katharina Hagena conduit ses lecteurs très loin. Réalité ? Fiction ? Folie ? Je vous conseille Le bruit de la lumière si vous êtes curieux et que vous ne craignez pas d’être déstabilisés par une lecture qui possède par exemple un chapitre avec 10 photos de plaques d’égouts.

Ce roman acheté et lu pour Les feuilles allemandes #2, je le mets aussi dans Animaux du monde #3 (tardigrades, ours canadiens), Challenge du confinement (case Contemporain) et Voisins Voisines 2020 (Allemagne).

Marée haute de Quentin Desauw

Marée haute de Quentin Desauw.

Anne Carrière, mars 2019, 170 pages, 17 €, ISBN 978-2-8433-7937-6.

Genres : littérature française, premier roman.

Quentin Desauw naît en 1986 à Tourcoing mais vit à Toulouse. Il étudie le cinéma et vit de « petits boulots alimentaires ». Il est maintenant professeur de français et Marée haute est son premier roman.

Poissons et pêche inside. Manu (Emmanuel), vingt-trois ans (si j’ai bien deviné), Dunkerque, travaille depuis six mois sur un chalutier. « […] remonter le chalut, le vider, trier les poissons directement dans les caisses, les mettre dans la glace, les stocker. Gestes anciens, gestes imbéciles, faits sans goût, comme sous le coup d’une mécanique folle et impossible à rompre, le tout sous un ciel de traîne qui se confondait avec le gris de la Manche. Gestes rapides et violents qui ne laissent pas de place à l’amateurisme, à l’à-peu-près. » (p. 13). « On obéit au patron même si on trouve que c’est un con. On en bave, mais avec le temps, on reste. Comme tout le monde. On n’a plus que l’océan en tête. Ça sonne comme une obsession, une putain d’histoire d’amour. » (p. 14).

Problèmes familiaux et existentiels inside. Le frère de Manu, Julien, a disparu, ça le hante, de même que les familles d’accueil dans lesquelles il a vécu ; il lui reste de tout ça une profonde tristesse. Manu a une petite amie, Tiphaine, étudiante, mais elle n’est pas du même milieu social que lui, alors ça ne fonctionne pas très bien entre eux. « […] des questions me venaient en tête. Elles me demandaient si les hommes qui regardent l’horizon pensent à la même chose. » (p. 29-30).

Migrants inside. Dans ce roman, qui se déroule à Dunkerque, il y a des migrants dont certains passent en Angleterre au péril de leur vie. « Depuis que la jungle avait été démantelée, le camp de La Linière parti en fumée, c’était difficile de savoir où ils créchaient tous. Les sous-bois à coloniser ne manquaient pas, ni les blockhaus ou les cabines sur le front de mer. Pour la plupart, c’était des hommes. Ils avaient presque toujours un sac en plastique à la main ou un vieux sac à dos dont ils ne se séparaient jamais. J’imaginais qu’il contenait toute leur vie ou ce qu’il en restait. Des souvenirs lointains d’un autre temps, d’un autre pays,et dont ils avaient besoin pour tenir le coup, réduits à l’état de mendiants et de hors-la-loi. » (p. 41).

Foot inside. La passion de Manu, c’est le foot, je dirais même que c’est ça qui lui fait tenir le coup. « Je vais me faire remarquer par un club de l’élite, je lui ai répondu. C’est une question de mois, une question de chance, j’en suis sûr. » (p. 81). Mais Manu fume beaucoup de clopes et de joints et il boit beaucoup de bière, pas très sain pour un sportif qui veut atteindre le haut-niveau… Et son entraîneur lui fait continuellement des reproches. « Je dérivais, je n’étais bon qu’à ça. » (p. 90). Sa vie ne se déroule pas comme il le souhaiterait. « Je me suis énervé, mais ça ne rimait à rien, ma colère n’était qu’une arme dérisoire dans ce monde de merde. » (p. 127).

Mon avis va vous paraître bizarre : j’ai aimé ce roman et je ne l’ai pas aimé ! En fait, j’ai aimé l’écriture, stupéfiante, le style, subtil et vif, l’histoire, les histoires plutôt, le mal-être de Manu avec ses blessures d’enfance toujours présentes, son envie (parfois) de s’en sortir, de faire autre chose de sa vie (et partir ne veut pas dire faire autre chose !). Mais je n’ai pas aimé la pêche, le foot, qui sont une très grande partie de la vie de Manu et donc du roman. Cependant je ne veux pas vous décourager de lire Marée haute (d’ailleurs, peut-être aimez-vous et la pêche et les chalutiers et le foot !) car ce roman se lit d’une traite (puisqu’il n’y a rien de superflu) : il est sincère, émouvant, parfois poétique, et Manu est attachant, vraiment, le lecteur a envie qu’il s’en sorte, mais… je ne peux rien vous dire de plus afin de ne pas dévoiler ce que vous devez découvrir par vous-mêmes ! Alors lisez ce « petit » (dans le sens moins de 200 pages) premier roman qui est, il me semble, passé un peu inaperçu, ce qui est bien dommage.

Un roman de la Rentrée littéraire janvier 2019 à découvrir même si, comme moi, vous n’aimez pas la pêche et le foot !

PS : ce roman « ouvrier » (mais pas que) est différent de À la ligne : feuillets d’usine de Joseph Ponthus, un autre premier roman paru en janvier.

Throwback Thursday livresque 2018-1

J’ai un peu de retard pour la première participation au Throwback Thursday livresque 2018… Pour le jeudi 4 janvier, le thème est « un livre dont j’ai envie de parler (donc tout simple, un livre de votre choix pour bien commencer 2018) ».

Comme j’avais eu un gros coup de cœur pour Roland est mort de Nicolas Robin, j’ai lu le nouveau roman de cet auteur français l’automne dernier : Je ne sais pas dire je t’aime de Nicolas Robin et l’auteur parle de la vie, les gens, l’amour avec tendresse et humour, j’aime énormément. 🙂

Je ne sais pas dire je t’aime de Nicolas Robin

Je ne sais pas dire je t’aime de Nicolas Robin.

Anne Carrière, avril 2017, 250 pages, 18 €, ISBN 978-2-8433-7861-4.

Genre : littérature française.

Nicolas Robin : voir la chronique de lecture de Roland est mort. ❤

« Paris, tu l’aimes ou tu la quittes. » (p. 9, première phrase du roman).

Francine et Henri, retraités dynamiques, vont quitter Paris et s’envoler en Floride pour leurs 40 ans de mariage. Mais après un passage à la mairie pour un papier administratif, Francine apprend un secret. « Soixante-deux ans après sa naissance, à l’âge où on est présumé atteindre la sagesse, Francine découvre une réalité aussi tranchante qu’un couteau à huîtres. » (p. 12). Et refuse de partir.

Juliette vend des chaussures « dans un grand magasin parisien » mais « Ce n’est pas la vie dont elle avait rêvé. Elle a plus de trente ans, n’est pas mariée, n’a pas d’enfant et aspire à un autre avenir. » (p. 13).

Joachim, 32 ans, moniteur d’auto-école, sportif et passionné par les animaux, se fait larguer dans une émission télévisée mais il « se demande ce qu’il fait là » (p. 17) d’autant plus qu’il y a un débat électoral sur d’autres chaînes.

Ce même soir, Ben est devant la télévision. Au bout de sept ans, son couple bat de l’aile et il « oublie sa tristesse en regardant celle des autres, et ce soir il assiste à une tuerie de premier choix. » (p. 23).

« C’est une célibataire parmi des millions, mais les millions ont parfois du mal à se rencontrer. » (p. 67, Juliette).

« Il mettra fin à sept ans de vie commune et ne sait pas comment l’autre réagira. Il s’y attend sûrement. Il n’a fait aucun effort. » (p. 115, Ben).

Après avoir lu et adoré Roland est mort, j’ai voulu lire un autre titre de cet auteur et j’aime vraiment beaucoup son style, son humour. Il insiste ici sur certains points comme le monosourcil de Joachim ou la trentaine célibataire de Juliette pour montrer le côté répétitif des jours, de la vie, des petit soucis de tout un chacun. Et je ne m’en suis pas rendue compte tout de suite mais chaque chapitre est lié au suivant (avec un mot clé ou une idée) ce qui crée un entrelacement et une continuité dans la vie de ces personnages tous Parisiens mais qui ne se connaissent pas et qui se croisent parfois sans se connaître. En fait, ce roman montre un échantillon de la « faune » parisienne et il y en a qui sont gratinés… (comme Évelyne, l’épouse de Daniel).

Je ne sais pas dire je t’aime est un roman choral, dramatique mais souvent drôle (comme le passage entre Juliette et Marie-Cécile/Jessica au bar), qui se déroule sur fond de campagne électorale présidentielle. « Qui sont ces gens égarés politiquement qui vadrouillent dans l’incertitude ? Ont-ils une vie ? des idéaux ? des plans de carrière élaborés ? » (p. 162).

Finalement (comme dans Roland est mort), l’auteur a beaucoup de tendresse pour ses personnages et traite avec humour des sujets graves, et ils sont nombreux ici alors que le roman n’est pas plombant du tout, au contraire : les relations enfants-parents, hommes-femmes ou hommes-hommes, la maltraitance des animaux, les enfants de la guerre avec le passé qui resurgit et qui fait qu’une vie s’écroule à cause des questions qui resteront sans réponse, l’homosexualité, la maladie (greffe), la mort, le suicide, la prostitution, le temps qui passe inexorablement avec la solitude, la politique avec ses espoirs et ses mensonges… Et surtout la difficulté de trouver l’amour et de dire « je t’aime » mais il ne faut jamais oublier que « chaque jour est une fête ! » (p. 178) et c’est peut-être ça le bonheur.

Une très belle lecture que je mets dans le challenge Feel good. Et encore un roman contemporain pour Un genre par mois de novembre.

Roland est mort de Nicolas Robin

Roland est mort de Nicolas Robin.

Anne Carrière, mars 2016, 185 pages, 17 €, ISBN 978-2-8433-7815-7.

Genre : ovni littéraire !

Nicolas Robin naît dans les Landes en 1976. Du même auteur : Bébé requin (2006), Super tragique (2007) et Je ne sais pas dire je t’aime (2017). Plus d’infos sur sa page FB.

« Roland est mort mais je m’en fous. Je ne le connaissais pas après tout. C’était le voisin d’à côté. Il avait l’air vieux, pas de cheveux. […] Il vivait seul avec son caniche et il écoutait des disques de Mireille Mathieu. » (p. 9-10). Lorsque les sapeurs-pompiers descendent le corps de Roland avec la voisine du dessous qui les suit, leur chef donne le caniche au voisin de palier, le narrateur. « Je me suis retrouvé de force avec le chien de Roland. Il a du caca au coins des yeux. Son pelage est rêche et délavé. D’un coup de langue, il me lèche la joue. Il pue. » (p. 14). Ce voisin narrateur dont on ne connaîtra pas le prénom, c’est un célibataire (son amoureuse l’a mis dehors), bientôt quarante ans, infographiste au chômage depuis qu’il a insulté son patron, quelques problèmes avec sa banque, et le voisin, il n’en veut pas du caniche ! Une femelle, qui s’appelle Mireille, lui apprend la voisine du dessous. « Roland est mort dans la plus grande solitude. Il ne laisse aucun contact, aucun ami. Il n’avait pas de vie sociale. Il n’avait qu’un caniche. » (p. 33). Le voisin va chez ses parents, ils ont une petite maison, un jardin, c’est bien pour le chien, mais mamie se traîne et a perdu la boule, le père a la tête dans les nuages depuis des années et la mère qui gère tout ne veut pas de chien en plus. « Maman veut savoir où j’en suis sur le marché de l’emploi. Mamie veut savoir où j’en suis sur le marché du célibat. C’est l’instant où tout se fige dans la salle à manger. » (p. 47). Le voisin décide alors de laisser Mireille à la SPA. « Mireille se paralyse contre le grillage. Elle me fixe de ses yeux noirs bordés de poils frisés. Elle me juge. Elle sait que je suis un type méprisable. […] Elle pense ‘Pourquoi tu m’abandonnes ?’. Elle pense ‘Pourquoi tu ne veux pas de moi dans ta vie ?’. Mireille a le museau triste des mal-aimés, de ceux qu’on quitte un jour […]. Elle pense ‘Pourquoi je ne suis pas assez bien pour toi ?’. Elle pense ‘Tu m’aimerais si je sentais bon et que j’étais jolie ?’ […] C’est là que se termine l’aventure entre Mireille et moi et pourtant j’hésite. » (p. 56) ; « En fait… je vais garder le chien. » (p. 57). Peu après, un agent des pompes funèbres sonne chez le voisin et lui donne l’urne avec les cendres de Roland. « Roland est mort et je le tiens entre les mains. […] La céramique est froide. Mon voisin est à l’intérieur. » (p. 69).

Chaque chapitre commence par « Roland est mort » qui donne son titre au roman et qui est presque le personnage principal. Ces événements, la mort de Roland, l’arrivée de Mireille, l’urne mortuaire (mais que va-t-il bien pouvoir en faire ?) sont l’occasion pour le voisin solitaire qui passe ses journées à boire du Campari et à mater des films pornos – « Ai-je raté ma vie ? » (p. 97) – de faire le point sur sa vie, son passé, son avenir. Et finalement, ces événements – et en particulier Mireille le caniche – vont modifier sa perception de la vie et même plus, bouleverser sa vie. Je ne vous en raconte pas plus mais c’est amené avec beaucoup d’humour, avec tendresse, avec une grande sensibilité, avec des mots parfois crus aussi, ce qui rend le roman incisif, rythmé et percutant, passionnant, enrichissant, et je l’ai dévoré alors que je l’avais découvert totalement par hasard ! Ce livre sur le deuil – et la solitude – est un livre drôle, vraiment drôle et il serait dommage de passer à côté. Et, promis, vous ne serez pas obligés d’écouter Mireille Mathieu !

Un roman exceptionnel qui ne rentre dans aucun challenge ! Peut-être le Feel good.