La fugue de Pascal Blanchet

La fugue de Pascal Blanchet.

La Pastèque, septembre 2005, 136 pages, 21,40 €, ISBN 978-2-922585-30-8.

Genre : bande dessinée québécoise.

Pascal Blanchet naît en 1980 à Trois-Rivières au Québec. La fugue est sa première bande dessinée. Suivent Rapide-Blanc (2006), Bologne (2007) et Nocturne (2011) ainsi que deux albums illustrés, Le Noël de Marguerite (2013) et En voiture ! L’Amérique en chemin de fer (2016), tous édités par La Pastèque (excellente maison d’éditions québécoise).

1946, le jazz bat son plein, la guerre est finie, la jeunesse est heureuse. Un musicien et une jeune femme se rencontrent, se marient, ont un fils mais la vie n’est pas tendre…

La fugue est une bande dessinée atypique : il n’y a pratiquement pas de textes (quelques pancartes et panneaux) et chaque planche (pleine page) est réalisée comme une affiche. C’est magnifique !

La fugue, c’est l’histoire d’une vie, une histoire d’amour, de deuil sur fond musical, et une histoire de fin de vie. Pascal Blanchet offre un très bel hommage à ses grands-parents et à ses parents.

C’est beau, c’est inspiré, c’est un peu triste aussi, mais c’est la vie.

Elles avaient lu et apprécié cette BD : Karine, Mo, d’ailleurs c’est chez elles que je l’avais repérée et je vous la conseille vivement !

Parfaite pour Un mois au Québec organisé par Karine justement. Et aussi pour La BD de la semaine et Des histoires et des bulles (catégorie 23, une BD en rapport avec la musique).

Ténèbre de Paul Kawczak

Ténèbre de Paul Kawczak.

La Peuplade, janvier 2020, 320 pages, 19 €, ISBN 978-2-924898-49-9.

Genres : littérature franco-québécoise, premier roman, Histoire.

Paul Kawczak naît le 12 novembre 1986 à Besançon (Franche-Comté) dans une famille d’origine polonaise. Il étudie la littérature en France puis en Suède. Il est poète, romancier et enseigne la littérature à l’Université du Québec à Chicoutimi (Saguenay). Du même auteur : L’extincteur adoptif (2015, recueil de textes) et Un long soir (2017, micro-récits).

1885, conférence de Berlin, les terres africaines sont partagées. « […] les majestés occidentales tranchèrent à vif la chair ; […] Angleterre, France, Belgique, Italie, Portugal, Espagne, Allemagne se lancèrent sans réserve dans la dévoration. » (p. 17).

Suite à des conflits locaux, en particulier entre Belges et Français, mais les Anglais ne sont pas en reste, le roi Léopold II envoie Pierre Claes, « un excellent géomètre, extrêmement prometteur » (p. 19) pour matérialiser et dessiner le tracé exact de la frontière nord du Congo alors belge. Pierre Claes est né à Bruges, il a moins de 30 ans et le 20 mars 1890 il arrive en Afrique. Port de Matadi puis Léopoldville où il contracte la malaria et où il rencontre Xi Xiao, un bourreau chinois originaire de la province de Guangdong (Canton) reconverti en maître tatoueur, qui devient son ami.

Le voyage est d’abord fluvial, Congo, Ubangui, Mbomou jusqu’à la source. Ensuite terrestre avec des porteurs Bantous. « L’Afrique était déjà mutilée, mais il fallait décider, tracer et enregistrer chaque kilomètre de frontière afin d’apaiser les tensions territoriales dont les voisins français et britanniques souhaitaient profiter pour envenimer une situation à leur avantage. » (p. 39).

Dans cette Afrique bigarrée, il y a bien sûr des Noirs (de différentes ethnies), des Belges, des Français, des Britanniques, des Allemands (dont un fumier qui tire une balle dans la tête du chimpanzé qu’il avait adopté), mais aussi un capitaine de bateau polonais, Jósef Teodor Konrad Korzeniowski (qui a son rôle à jouer) et, on l’a déjà vu, le Chinois Xi Xiao, et aussi beaucoup d’animaux dont la majorité sont dangereux (mais pas plus que les humains finalement). Ce récit extraordinaire fait même croiser Baudelaire, Hugo, Verlaine (dans les souvenirs belges et français de Vanderdorpe avec Manon Blanche) avec plusieurs clins d’œil à la littérature de la fin de ce XIXe siècle.

Mais revenons à Pierre Claes. Abandonné par son père adoptif (l’homme qui a épousé sa mère), le jeune homme hait les Blancs au Congo, qui « ne valaient à ses yeux guère plus que des excroissances improbables de vie dans la chaleur africaine, polypes puants de Léopold II, agents vides de la cancérisation du monde moderne. La prolifération fiévreuse et stérile d’une Europe malade sur le reste de la planète. » (p. 86). Pourtant « Raciste, Pierre Claes l’était certainement, comme tout colonial de sa génération, mais sa haine se portait ailleurs que sur les Noirs. » (p. 105). D’ailleurs, j’ai apprécié son amitié avec Mpanzu, le mécanicien du Fleur de Bruges.

Ténèbre est un premier roman très réussi qui se lit d’une traite (sans vilain jeu de mots). C’est un roman historique et géographique bien construit, un roman de voyage bien documenté, un récit d’amour et de haine (parfois érotique), de passions et de drames. Un coup de cœur donc et j’ai également bien aimé les flashbacks et les passages oniriques mais « Ce monde était une abomination. » (p. 208). Le tout forme un roman puissant, violent, charnel, viscéral même (l’Afrique a été « découpée » et Xi Xiao découpe les corps et peut-être les âmes aussi). « Tout, autour d’eux, était devenu mort, peine et violence. » (p. 244). Paul Kawczak emmène ses lecteurs loin dans la ténèbre (暗黑).

Toutefois je voudrais revenir sur une phrase (je l’ai soulignée ci-dessous) qui m’a interpellée dès le début du roman (heureusement quand même que j’ai continué ma lecture !). « L’histoire qui suit n’est pas celle des victimes africaines de la colonisation. Celle-ci revient à leurs survivants. L’histoire qui suit est celle d’un suicide blanc […]. » (p. 12). L’auteur pense ça, OK, c’est son droit mais je ne suis pas d’accord, je pense que les auteurs peuvent écrire sur le thème qui leur plaît et qui les intéresse. Par exemple, dans Cartographie de l’oubli de Niels Labuzan (un premier roman également), l’auteur français parle très bien de la colonisation allemande en Namibie et des populations noires (ce roman m’a passionnée et j’ai appris beaucoup de choses), pas besoin d’être Allemand ou Africain pour s’emparer de ce sujet ! En ce moment, il y a des polémiques sur qui a le droit de parler de tel pays ou de tel thème, qui a le droit de traduire, je trouve ça immonde, un auteur a le droit d’écrire sur ce qu’il veut et un traducteur qui maîtrise la langue qu’il doit traduire est approprié à traduire même s’il n’est pas de la même nationalité ou du même genre que l’auteur d’origine (et quand j’écris auteur et traducteur, je prends ça pour du neutre, ça inclut autrice et traductrice, et cette autre polémique me saoule aussi mais c’est une autre histoire !).

Bref, je ne peux vous conseiller qu’une chose : lisez Ténèbre de Paul Kawczak, un auteur que je vais suivre (d’ailleurs j’ai aimé tous les livres que j’ai lus publiés par La Peuplade, maison d’édition québécoise).

Pour le Challenge lecture 2021 (catégorie 38, un livre sur le thème du voyage, 2e billet) et À la découverte de l’Afrique.

Bambou à l’école des singes de Lucie Papineau et Dominique Jolin

Bambou à l’école des singes de Lucie Papineau et Dominique Jolin.

Dominique et Compagnie, collection à pas de loup, novembre 2004, 32 pages, 5,95 €, ISBN 978-2-89512-435-1.

Genres : roman illustré québécois, littérature jeunesse.

Lucie Papineau naît le 26 avril 1962 à Longueuil au Québec. Elle étudie la communication à l’Université du Québec à Montréal. Elle est autrice pour la jeunesse.

Dominique Jolin naît en 1964 à Chibougamau au Québec. Elle est autrice et illustratrice.

Ce matin, c’est l’anniversaire de Jeanne et elle reçoit un cadeau : un petit humain qui s’appelle Bambou. Quel beau cadeau ! Mais Jeanne doit aller à l’école… Bambou la suit. Premier cours : les puces ! Eh oui, Jeanne, les autres élèves et le professeur sont des chimpanzés !

C’est drôle mais attention : il faudra compter les puces et les manger !

Un roman illustré amusant pour les challenges Animaux du monde #3, Jeunesse Young Adult #10 et Les textes courts.

Le lièvre d’Amérique de Mireille Gagné

Le lièvre d’Amérique de Mireille Gagné.

La Peuplade, août 2020, 184 pages, 18 €, ISBN 978-2-924898-77-2.

Genres : littérature québécoise, roman.

Mireille Gagné naît le 12 novembre 1982 à L’Isle aux Grues (Québec, Canada). Elle étudie la communication à l’université de Sherbrooke (Québec). Elle est poétesse (5 recueils de poésie entre 2006 et 2020), nouvelliste (2 recueils de nouvelles, un en 2010 et en en 2018) et romancière : Le lièvre d’Amérique, en lice pour le Prix Inrockuptibles 2020 premier roman, le Prix Première Plume 2020 du Furet du Nord et le Prix Wepler 2020, est son premier roman. Plus d’infos sur son site officiel.

Le lièvre d’Amérique (Lepus americanus), herbivore, est un cousin du lapin qui « préfère fuir plutôt que de se cacher pour échapper aux prédateurs. » (p. 7). La légende du lièvre blanc est inspirée de la légende algonquienne Nanabozo.

Diane vient d’être opérer et doit rester allongée. « En fonction de leur bagage génétique, les humains ne réagissent pas tous de la même manière au traitement. Certains ont des symptômes plus intenses que d’autres, mais ceux-ci s’estompent au cours des mois à venir. » (p. 51).

Eugène, 16 ans, s’installe avec ses parents à la Pointe aux Pins ; leurs voisins : Diane, 15 ans, et ses parents. Diane fait découvrir à Eugène l’île et les oiseaux. « J’ai compris que tu étais ici pour rester. » (Diane, p. 18).

Diane est la déesse romaine de la chasse et du monde sauvage ; le père de Mireille Gagné était guide de chasse. Je pense qu’il y a un lien si l’héroïne s’appelle Diane et que le lièvre est présent tout au long du roman.

Le roman est composé de six parties avec à chaque fois quatre chapitres qui reviennent dans le même ordre. Un chapitre scientifique sur le lièvre d’Amérique (vie, comportement, reproduction) et c’est super intéressant. Un chapitre sur Diane adulte qui vient de subir une opération génétique et ressent des effets secondaires (pas prévus ?). Un chapitre sur l’adolescence de Diane et ses souvenirs avec son ami Eugène. Un chapitre très court de Diane sans aucune ponctuation. À la suite de ces chapitres, une illustration sombre en double page s’intercale avec les chapitres suivants (lièvre, vie actuelle, souvenirs, Diane) et ainsi de suite.

Le langage est parfois surprenant : par exemple, les Québécois disent « au gym » alors que nous disons « à la gym » mais rien de rédhibitoire, c’est compréhensible et sinon, il y a un lexique bien utile en fin de volume (parce que, oui, il y a des mots québécois totalement inconnus !).

Ce roman rythmé, envoûtant, considéré au Québec comme « une fable animalière néolibérale [qui] s’adresse à celles et ceux qui se sont égarés », est surprenant, pratiquement kafkaïen (aliénation, transformation). Il est en tout cas d’une grande originalité (je sais, ce n’est pas original de dire ça) et d’une belle poésie que ce soit dans l’animal ou dans l’(in)humain. Le lecteur est continuellement questionné : que serait-il prêt à faire pour être plus performant en particulier au travail ? Accepterait-il de devenir un humain augmenté (transhumanisme) ? Moi, non, c’est clair ! Je préfère m’égarer, dans la Nature, dans la lecture ! Et vous ?

Cet éditeur, La Peuplade, basé à Saguenay au Québec, que j’ai découvert il y peu, est idéal pour Québec en novembre (mais il n’y a pas que des auteurs québécois au catalogue).

Une étrange et édifiante lecture que je mets aussi dans les challenges 1 % Rentrée littéraire 2020, Animaux du monde #3 (lièvre, oiseaux), Challenge du confinement (case Contemporain), Contes et légendes (Nanabozo), Littérature de l’imaginaire #8 et Petit Bac 2020 (catégorie Animal pour lièvre).

Raif Badawi – Rêver de liberté

Raif Badawi – Rêver de liberté.

Radio Canada (la BD est en ligne), 2017, 127 pages.

Genres : bande dessinée québécoise, documentaire.

Arabie Saoudite, janvier 2015. « Le blogueur Raif Badawi croupit en prison pour avoir défendu des idées progressistes et réclamé des changements dans la société saoudienne. » (p. 1). Il a reçu 50 coups de fouet devant une foule en délire…

Sherbrooke, Québec, Canada. Ensaf Haidar, l’épouse de Raif Badawi, vit au Québec avec leurs enfants, Najwa née en 2003), Tirad (né en 2004) et Miriyam (née en 2007). Les enfants ne sont pas au courant mais Raif Badawi a fait la Une des journaux partout dans le monde donc ils apprendront fatalement ce qui est arrivé à leur père. Ensaf va raconter aux enfants sa rencontre avec leur père, leur histoire et comment ils ont dû braver les interdits.

Flashback, Arabie Saoudite, été 2000. « C’est ici que le destin s’est chargé de bousculer la vie de deux jeunes issus d’univers totalement différents. » (p. 13). Bien qu’Ensaf soit mariée à Raif, qu’ils soient heureux et parents, les frères d’Ensaf la menacent continuellement, c’est pourquoi, en 2003, le couple quitte Jizan pour Djeddah, « une ville plus ouverte sur le monde, plus moderne, où les traditions religieuses sont moins rigides et où il est plus facile de passer incognito. » (p. 31).

En 2004, Raif ouvre une école de langues et d’informatique pour les femmes. C’est génial ! Puis en août 2006, il crée le Réseau libéral saoudien, un forum pour échanger des idées. « Vous êtes un humain, vous avez donc le droit de vous exprimer et de penser comme bon vous semble. » (p. 50). Mais Raif est considéré comme dangereux, donc surveillé et arrêté une première fois en 2007. Son père lui-même est parmi ses opposants ! Exil, retour au pays, création d’un nouveau site avec deux autres activistes, Wael Al-Qasim et Souad Al-Shammari, etc. « Liberté, justice et égalité seront les fondements du site. Toutes nos actions tourneront autour de ces mots. » (p. 70). Mais, après la fatwa lancée contre lui en mars 2012, il comprend qu’Ensaf et les enfants doivent quitter le pays : c’est comme ça qu’ils se sont installés au Canada. « Maintenant, Ensaf, tu dois faire connaître ma cause partout. Tous doivent savoir ce qu’il m’arrive. C’est la seule façon de me faire sortir d’ici ! » (Raif au téléphone, p. 118).

Dans un noir et blanc sobre mais intense, le lecteur visionne bien l’Arabie Saoudite et ses règles strictes. Et l’histoire d’un jeune homme qui veut faire changer les mentalités au péril de sa liberté et de sa vie. Quant à Ensaf, elle a heureusement rencontré de bonnes personnes à l’ONU, au Service d’aide aux Néo-Canadiens et à Amnesty International (en particulier Mireille Elchacar).

J’avais déjà entendu parler de Raif Badawi, j’avais lu des articles sur lui et son combat. « Entre autres, le Parlement européen lui a décerné le prestigieux Prix Sakharov pour la liberté de l’esprit à l’automne 2015. » (p. 124).

Derrière ce beau projet, l’équipe de Radio-Canada et Marie-Ève Lacas (recherche, texte, dessin), Geneviève Proulx (texte) et Myriam Roy (dessin). Cette bande dessinée a reçu le Grand Prix de l’Innovation Digitale ID 2018.

En fin de volume, une magnifique photo de Miriyam, Ensaf, Tirad et Najwa prise par Émilie Richard.

Lisez cette bande dessinée pour savoir et pour peut-être faire quelque chose ! Il existe un livre : 1000 coup de fouet parce que j’ai osé parler librement de Raif Badawi paru en 2015 aux éditions Kero.

Pour La BD de la semaine, le challenge BD et Québec en novembre. Plus de BD de la semaine chez Stéphie.

Une vidéo de la bande annonce de la BD sur

et une vidéo des protagonistes et de la création de la bande dessinée sur

Lac-Mégantic – La dernière nuit

Lac-Mégantic – La dernière nuit.

Radio-Canada (la BD est en ligne), juin 2020, 112 pages.

C’est grâce à Suzanne (sur FB) – du blog Balades entre les lignes – que j’ai eu connaissance de cette bande dessinée.

Genres : bande dessinée québécoise, reportage.

Juillet 2013, à Lac-Mégantic au Québec. Pascal Charest et Talitha Coumi Bégnoche sont séparés mais ils ont deux filles, Alyssa, 4 ans, et Bianka, 9 ans, et ils se voient beaucoup en ce moment. 5 juillet : la famille se balade en centre-ville et va à la plage. Au même moment, la mairesse, Colette Roy Laroche, fait visiter la ville à sa famille. Et le soir, un groupe d’amis participe à une fête d’anniversaire au Musi-Café. La même journée, un train de la Montreal Maine & Atlantic Railway (MMA) quitte Farnham (Québec) : 72 wagons pleins de pétrole brut soit un convoi de 1,5 km de long. Thomas Harding, mécanicien de locomotive, est seul conducteur… « Laisser un seul homme conduire un train est une pratique peu courante dans l’industrie. »

Le train part donc de Farnham (à l’est de Montréal) et doit rouler à l’est durant 200 km en passant par Sherbrooke et Lac-Mégantic pour arriver au village voisin de Nantes. Mais comme il y a un problème avec la locomotive, le train va plus lentement que prévu. La nuit tombe alors Thomas arrête le train à Nantes, sert les freins de la locomotive et des wagons, et va se reposer. Le lendemain, c’est une autre équipe qui doit conduire le train jusqu’à la raffinerie Irving de Saint-Jean au Nouveau-Brunswick. Mais, durant la nuit, la locomotive prend feu. Puis le train, entraîné par son poids (plus de 10000 tonnes), dérive jusqu’à Lac-Mégantic en accélérant sans cesse et explose en plein centre-ville. L’enfer se déchaîne…

Je n’avais jamais entendu parler de ce train et de cet accident tragique qui a eu lieu il y a presque 7 ans. Cette histoire m’a touchée ; personne n’est à l’abri d’un accident ou d’autre chose. La BD est dans une espèce de noir et blanc avec du gris-bleu puis avec du rose-rouge pour l’urgence de la situation. Dans cette petite ville où tout le monde se connaît, les gens sont heureux, mais on sent le drame qui pointe et Isabelle Hallé, une des fêtardes du Musi-Café, le sent aussi (certaines de ses photos de la soirée sont incluses dans les cases). Pascal Charest (qui a perdu sa compagne et leurs deux filles), Colette Roy Laroche (qui a perdu des administrés et sûrement des proches) et Isabelle Hallé (qui a perdu de nombreux amis restés au Musi-Café ou au centre-ville) ont témoigné pour que cette bande dessinée existe. À la fin, il y a les noms des 47 victimes.

Cette bande dessinée est un travail collectif entre principalement Marie-Hélène Rousseau (journaliste), Marie-Ève Lacas (journaliste-illustratrice), Myriam Roy (bédéiste) et l’équipe de Radio Canada, entre autres. Un beau travail de mémoire et d’hommage aux nombreuses victimes et à leurs proches effondrés.

Il y a quelques mots québécois que je ne connais pas mais dans le contexte, je comprends leur signification comme par exemple « ça ne dérougit pas sur la piste de danse ».

Pour La BD de la semaine, le challenge BD et Québec en novembre. Plus de BD de la semaine chez Moka. Enna a lu aussi cette BD.

Taqawan d’Éric Plamondon

Taqawan d’Éric Plamondon.

Quidam, collection L’Américaine, janvier 2018, 208 pages, 20 €, ISBN 978-2-37491-078-9.

Genre : littérature québécoise.

Éric Plamondon naît en 1969 à Québec. Il étudie la communication, le journalisme et l’économie à l’Université de Laval puis la littérature à l’Université de Québec. Il vit en France depuis les années 90. Il est romancier, nouvelliste et a reçu de nombreux prix littéraires en particulier au Québec. Taqawan est son quatrième roman, paru en 2017 au Québec et en 2018 en France. Plus d’infos sur son site et son blog.

11 juin 1981 : Océane a 15 ans aujourd’hui. Elle fait partie du peuple des Indiens Mi’gmaq, aussi appelés Miquemaques, Mi’kmaqs, Micmacs ou même Souriquois par les Français. Elle est dans le bus scolaire qui la ramène chez elle, à la réserve de Restigouche en Gaspégie (Gespeg). Mais le bus s’arrête, il ne peut pas traverser le pont… Il y a des policiers de la Sécurité du Québec partout, trois cents policiers (!) et un hélicoptère : c’est que les Indiens pêchent le saumon pour nourrir leur famille mais c’est interdit par la loi et les policiers sont chargés de les empêcher de récupérer les filets…. De façon plutôt violente… « Alors les forces de l’ordre redoublent de coups, s’enragent et deviennent vicieuses. Quand les chiens sont lâchés, quand on donne le feu vert à des sbires armés en leur expliquant qu’ils ont tous les droits face à des individus désobéissants, condamnables, délinquants, quand on fait entrer ces idées dans la tête de quelqu’un, on doit toujours s’attendre au pire. L’humanité se retire peu à peu. Dans le feu de l’action, la raison s’éteint. Il faut savoir répondre aux ordres sans penser. » (p. 14-15). De son côté, Yves Leclerc, un garde-chasse qui vit seul au milieu de la forêt découvre une adolescente frigorifiée, elle a été violée par plusieurs hommes… blancs… « […] que se passe-t-il ? Il vient d’amener chez lui une jeune Indienne. Sous le choc d’un viol. Elle a passé la nuit dehors. Lui vient de perdre son travail parce qu’il a refusé de retourner sur la réserve. » (p. 47-48).

Deux histoires, celle d’Océane et celle d’Yves, dans un pays en fait à cheval sur deux pays – le Québec (francophone) et le Canada (anglophone) – un pays qui ne veut pas appartenir à tous, surtout à ses habitants d’origine, deux histoires qui se rejoignent dans un récit intense, cruel. Taqawan est un roman historique, social, noir, profondément humain. Et si les Québécois, les Canadiens n’étaient pas si gentils que ça ? Cette histoire fait bien sûr penser à la façon dont ont été traités les Indiens d’Amérique aux États-Unis et les Aborigènes en Australie. Ils ont perdu leurs terres, leurs traditions ancestrales, leur mode de vie proche et respectueux de la nature hérité de leurs ancêtres, ils ont été enfermés, battus, brimés, humiliés, presque décimés… C’est un miracle s’ils existent encore, malheureusement sous tutelle, dans des réserves qui ressemblent à des bidonvilles…

On apprend non seulement beaucoup de choses sur les Indiens du Québec, sur les Européens envahisseurs, sur leurs relations plus que tumultueuses, mais aussi sur la nature, sur le saumon (très important dans la vie des Indiens), taqawan. « Les reins du saumon se métamorphosent selon le milieu aquatique. Quand un saumon passe de l’eau douce à l’eau salée, et vice-versa, ses deux reins subissent des transformations d’anatomie et de fonctionnement. Encore aujourd’hui, les scientifiques ne s’expliquent pas ce phénomène. » (p. 61). Un roman fort, beau, passionnant, violent, pas tendre avec les colons anglais, français et leurs gouvernements…

Ma phrase préférée : « Tu es revenu. Tu es un saumon revenu de la mer, tu es un taqawan. » (p. 153).

Une très belle lecture pour les challenges Petit Bac 2018 (catégorie Titre mot unique) et Challenge de l’été 2018. Et j’ai failli oublié Suivez le thème avec le thème liquide (pour les saumons, eau douce, eau salée, les filets de pêche, tout ça, tout ça).

Mãn de Kim Thúy

mankimthuyMãn de Kim Thúy.

Liana Levi, mai 2013, 143 pages, 14,50 €, ISBN 978-2-86746-679-3).

Kim Thúy naît à Saïgon en 1968. Boat people à 10 ans, elle arrive à Montréal. Elle exerce différents métiers et publie son premier roman, Ru, en 2010 et À toi, avec Pascal Janovjak, en 2011.

« Maman et moi, nous ne nous ressemblons pas. Elle est petite, et moi je suis grande. Elle a le teint foncé, et moi j’ai la peau des poupées françaises. Elle a un trou dans le mollet, et moi j’ai un trou dans le cœur. » Voici la quatrième de couverture et le premier paragraphe du roman.

quebecnovembre2016Mãn, c’est l’histoire d’une femme. Une femme exilée au Canada, à Montréal, loin de sa patrie d’origine, le Vietnam. Ce sont des souvenirs, avec une grande pudeur et une intense tristesse. Ce sont aussi des rencontres (Julie, H’ông, Luc) après son mariage, des ateliers de cuisine, la naissance de son fils puis de sa fille, les voyages à New York et à Paris, la découverte de l’Art et de la peinture avec Julie, la « marchande de bonheur » (page 73). Mãn s’efface et raconte plutôt l’histoire de H’ông et de sa fille, Mãn parle peu de son mari et de ses enfants, elle s’attardera un peu plus sur Luc parce que c’est une histoire différente de ce qu’elle vit.

RaconteMoiAsie2Au Vietnam, sa maman et elle lisaient Guy de Maupassant mais il a été interdit, comme tous les auteurs occidentaux, et elle n’a pu sauver qu’un livre, Une vie, qu’elle garde précieusement. S’accrocher à un livre pour s’accrocher à sa vie, à son enfance, à son histoire, à son pays, c’est très beau.

Dans la marge, des mots en vietnamien et leur signification en français. En voici quelques-uns : « tranh – peinture » (p. 61), « ma – fantôme » (p. 67), « tim – cœur » (p. 109), « thu – automne » (p. 137), parmi les plus faciles à prononcer (il y a beaucoup d’accents sur les voyelles et des espèces de cédilles aussi).

FeelGood1L’explication de son nom : « […] je m’appelle Mãn, qui veut dire « parfaitement comblée » ou « qu’il ne reste plus rien à désirer » , ou « que tous les vœux ont été exaucés ». Je ne peux rien demander de plus, car mon nom m’impose cet état de satisfaction et d’assouvissement. » (p. 34-35).

Ce livre parle aussi beaucoup de cuisine (Mãn épouse un restaurateur) et j’ai souri avec « un œuf óp la (au plat) » (p. 42).

LettreAuteurAprès Ru, beau, émouvant, voici Mãn, tout aussi beau et émouvant. Kim Thúy est une romancière précieuse que je vais continuer à lire !

Un roman pour les challenges Feel good, Raconte-moi l’Asie, Une lettre pour un auteur (session #37, lette T) que je glisse dans Québec en novembre de Karine et Yueyin 😉 (présentation et récap).

Kuessipan de Naomi Fontaine

KuessipanKuessipan de Naomi Fontaine.

Le Serpent à plumes [lien], août 2015, 112 pages, 15 €, ISBN 979-1-09468-007-0.

Genres : premier roman, littérature québécoise.

Naomi Fontaine est une Innue de Uashat ; elle vit à Québec. Ce premier roman a été publié au Québec aux éditions Mémoire d’encrier [lien] en mars 2011 alors qu’elle avait 23 ans.

Réserve innue de Uashat. Les hommes boivent, les hommes sont violents, les hommes ont des accidents, les hommes meurent. La souffrance des femmes qui se retrouvent veuves, qui ne reçoivent plus d’amour (mais en ont-elles reçu ?), qui doivent élever seules les enfants. « Je déteste le visage des morts. Leurs traits sereins. Leurs yeux fermés. » (p. 13).

Kuessipan – avec une très belle couverture – est une agréable surprise pour le retour du Serpent à plumes [lien]. Un roman triste, avec des chapitres très courts (parfois simplement quelques lignes sur une page). Montagne, bois, rivière, lac : la vie est austère et difficile mais on a l’impression que le lieu est beau et que ce peuple a tout pour être heureux. Pourtant c’est un peuple qui, privé des terres de ses ancêtres et enfermé dans une réserve, a perdu ses racines, son identité… « Nomade : j’aime concevoir cette manière de vivre comme naturelle. » (p. 21) : ainsi se termine la première partie de ce roman.

68-premieres-fois« Une clôture. Plus haute que la tête des hommes. […] La clôture plantée là, un gardien contre les loups, les Innus. Ils s’attardent derrière la barrière. Se tiennent tout près. Cherchent l’issue, trouvent le chemin de leurs propres lois. Ils veulent fuir, là où il n’y a pas de barricades. » (p. 46-47). Voilà la réalité, un peuple enfermé, comme des animaux, comme des sous-hommes… « Tu as vu la réserve, les maisons surpeuplées, la proximité, la clôture défaite, les regards fuyants. » (p. 88).

RentreeLitteraire2015Il y a plein de mots inconnus (comme skidoo, mamu, Nutshimit, Nikuss…) et, avec ces chapitres courts, ces anecdotes qui n’ont pas toujours de lien entre elles, le roman (en est-il vraiment un ?) est décousu mais c’est beau, vraiment, et il y a peut-être un peu d’espoir. « Je n’ai pas le droit. […] Bien sûr que je n’ai pas le droit d’oublier mon instinct de nomade, sans cesse à la recherche d’un état de grâce. » (p. 106).

Quebec2015Ce roman est le onzième lu dans le cadre de 68 premières fois et il faut lui donner une note alors je dirais… 15/20. Il entre aussi dans le challenge 1 % de la rentrée littéraire 2015 et Québec en novembre.

Les aurores montréales de Monique Proulx

[Article archivé]

Les aurores montréales de Monique Proulx.

Boréal, avril 1996, 244 pages, 15,50 €, ISBN 978-2-89052752-2.

Genres : littérature québécoise, nouvelles.

Monique Proulx est née le 17 janvier 1952 à Québec mais elle vit à Montréal depuis 1984. Elle est romancière, nouvelliste, scénariste et elle a reçu de nombreux prix littéraires.

Les nouvelles de ce recueil datent un peu (elles ont apparemment été écrites entre 1989 et 1994) mais elles me semblent toujours d’actualité (même si je ne peux pas l’affirmer à 100 % car je ne connais pas du tout la ville de Montréal). Elles parlent en tout cas toutes de Montréal et de la vie à Montréal. « Montréal a changé, c’est la faute de Montréal. » (p. 231).

De l’exil et des difficultés d’adaptation : Gris et blanc (enfant du Costa Rica), Jaune et blanc (jeune femme de Chine), Rose et blanc (fille d’immigrés italiens), Noir et blanc et La classe laborieuse (couple de Haïtiens), Rouge et blanc (Indien, il n’est pas en exil donc mais il ne reconnaît pas sa propre terre), Sans domicile fixe. Le blanc revient souvent !

Des relations entre enfants et parents : Le passage (une jeune fille « même pas majeure » quitte ses parents pour aller vivre à Montréal avec son copain étudiant), Le futile et l’essentiel (une femme très bavarde rend visite à sa fille à Montréal), Noir et blanc (racisme et violence).

Des relations entre hommes et femmes : Léa et Paul, par exemple (intéressant avec plusieurs flashback non chronologiques), Les femmes sont plus fines, Madame Bovary, Dépaysement, Oui or no.

De la relation entre l’humain et l’animal : Gris et blanc (Manu, le chien qui manque à l’enfant), Jouer avec un chat (Pierrot et sa chatte, Grosse Chose).

Des différences dans le comportement ou l’attitude : Allô, Les transports en commun, Tenue de ville, Rue Sainte-Catherine, Baby, L’enfance de l’art (courte et percutante), Les aurores montréales, Fucking bourgeois.

C’est bizarre, en listant ces nouvelles, je me rends compte que ce sont celles-ci que j’ai le moins aimées :

Clin d’œil à la culture et à la littérature québécoises : Leçon d’histoire (au théâtre), Français, Françaises (auteurs québécois).

Une nouvelle inclassable : Ça ; elle ne fait qu’une page et je ne l’ai pas comprise…

Mes nouvelles préférées

Gris et blanc : un enfant écrit à son chien, Manu, resté à Puerto Quepos (Costa Rica) pour lui raconter sa nouvelle vie dans cette ville grise et parfois blanche, et lui dire combien il lui manque.

Le futile et l’essentiel : Fabienne rend visite à sa fille Martine qui pressent que « cette semaine sera infernale » car sa mère est volubile et cancanière. « Et tout ce temps, tandis qu’elle parcourait et dévorait insatiable la ville, les mots s’étaient éjectés de sa bouche à une vitesse sidérale, elle parlait et la réalité se rapetissait comme aspirée de l’intérieur, elle parlait et la vie devenait une anecdote désespérante de laquelle tout sublime était à jamais évacué, à jamais. » (page 47).

Jaune et blanc : une jeune Chinoise écrit à sa grand-mère restée en Chine et lui décrit le foisonnement de cette ville dans laquelle elle était perdue à son arrivée.

Madame Bovary : Diane, mariée et mère de famille, écrit à un journaliste dont elle aime les chroniques afin de le rencontrer (et plus si affinités) mais il la mouche dans une chronique suivante.

Noir et blanc : après avoir vu en famille le film Malcolm X, un chauffeur de taxi haïtien écrit à Malcolm X pour lui dire son mécontentement sur la violence et le racisme qui n’est pas à sens unique. « Les faits parlent d’eux-mêmes, et l’homme est un loup pour l’homme, qu’il soit noir, jaune, ou vert martien… » (page 141).

Français, Françaises : un directeur littéraire français vient à Montréal pour rencontrer des auteurs québécois « uniquement distribués au Québec » (page 181) et ceux-ci espèrent beaucoup des éditeurs français mais l’homme préfère s’installer à Montréal réduisant leurs espoirs à néant.

Drôles ou tristes, tendres ou cruelles, réelles ou imaginaires, émouvantes ou déroutantes, ces 27 histoires ont toutes un intérêt, une manière bien à elles de raconter Montréal, ses habitants et ses différentes couleurs. Ce fut pour moi une belle découverte car je n’avais jamais lu Monique Proulx. Plusieurs de ces nouvelles sont écrites sous forme de lettres : Gris et blanc, Jaune et blanc, Rose et blanc, Noir et blanc, Rouge et blanc, Blanc, et la lettre au journaliste dans Madame Bovary.

Le mot de la fin pour l’Amérindien qui ne reconnaît plus son pays, dans Rouge et blanc. « Cette terre bruyante peuplée de créatures bavardes et ces forêts sans arbres sont tout ce qui nous reste : il faut apprendre à y enfouir de nouvelles racines ou accepter de disparaître. » (p. 195-196).

Une lecture pour Québec en septembre que je mets aussi dans les challenges 1 mois, 1 plume, En toutes lettres, Littérature francophone, Le mélange des genres (nouvelles), Petit Bac 2014 (catégorie Lieu) et Tour du monde en 8 ans.