Rencontre avec Gilles Marchand

Chers ami(e), lecteurs et lectrices, je sais que vous êtes nombreux à apprécier les romans et le recueil de nouvelles de Gilles Marchand ; vous en parlez souvent sur vos blogs et sur les réseaux sociaux.

La médiathèque La Passerelle a reçu jeudi 16 novembre Gilles Marchand pour Le soldat désaccordé qui a gagné le Prix La Passerelle 2023 + Prix La Passerelle 2023 – Les résultats et le gagnant avec 52 votes (loin devant le 2e qui a 39 votes).

Gilles a déjeuné avec les bibliothécaires et deux profs de lycée (il était avec leur classe l’après-midi) puis est revenu à la médiathèque pour la soirée. Les bibliothécaires (y compris retraitées) et les lecteurs étaient nombreux pour la rencontre animée, comme d’habitude, par François qui avait lu tous les titres de l’auteur et qui a pu rebondir sur les similitudes et les différences entre les différents titres mais pas que. Questions de François très pointu au niveau historique, réponses de Gilles, puis échanges avec les lecteurs, toujours ravis et intéressés, quoiqu’un peu intimidés, de rencontrer un auteur, surtout si c’est celui pour lequel ils ont voté, lectures d’extraits : un par Gilles qui lit très bien, un par Sonia, une lectrice adorable qui faisait partie du comité de lecture cette année et qui ayant des dizaines de post-it dans son livre – qu’elle a joyeusement fait dédicacer – a pu retrouver le passage dont parlait Gilles. Pas de rencontre sans dédicaces et, notre libraire étant présente, chacun a pu acheter un ou plusieurs livres et le(s) faire dédicacer pour soi-même ou pour des ami(e)s absent(e)s. Un très beau moment humain et littéraire donc, merci à toute l’équipe et à Gilles !

Vous pouvez cliquer !

Gilles Marchand est un auteur très abordable, gentil, sincère, et j’ai beaucoup apprécié son côté rock’n’roll. Je vais bien sûr lire les titres que je n’ai pas encore lus de lui : j’avais commencé Une bouche sans personne (2016) mais il s’est retrouvé encartonné dans le déménagement de 2016 (et il y est encore) et j’emprunterai à la médiathèque le roman Un funambule sur le sable (2017) et le recueil de nouvelles Des mirages plein les poches (2018). Je rappelle que j’ai lu Requiem pour une apache (2020) et Le soldat désaccordé (2022, coup de cœur).

Si vous n’avez jamais lu cet auteur, allez-y les yeux fermés 😉 😛

Histoires bizarroïdes d’Olga Tokarczuk

Histoires bizarroïdes d’Olga Tokarczuk.

Noir sur blanc, octobre 2020, 192 pages, 19 €, ISBN 978-2-88250-657-3. Opowiadania bizarne (2018) est traduit du polonais par Maryla Laurent.

Genres : littérature polonaise, nouvelles, fantastique, science-fiction.

Olga Tokarczuk naît le 29 janvier 1962 à Sulechów (voïvodie de Lubusz) en Pologne. Elle étudie la psychologie à l’université de Varsovie et travaille bénévolement avec des personnes souffrant de troubles mentaux puis elle devient psychothérapeute à Wałbrzych (voïvodie de Basse-Silésie, près de la frontière tchèque). Mais en 1997, elle se consacre à l’écriture et contribue à la revue littéraire britannique Granta. Elle reçoit de nombreux prix littéraires et le prix Nobel de littérature 2018. Plusieurs de ses romans et nouvelles sont traduits en français et édités chez Robert Laffont ou chez Noir sur blanc. Plus d’infos sur son site officiel (en polonais).

Le passager – Lors d’un voyage en avion, la narratrice écoute un passager de plus de 60 ans raconter ses terreurs nocturnes durant l’enfance. « La cause de ses effrois nocturnes étaient inexprimable, il ne savait pas trouver les mots pour les raconter. » (p. 8).

Les enfants verts – Printemps 1656. « William Davisson, médecin de Sa Majesté Jean II Casimir, Roi de Pologne » (p. 11) ignore tout de la Pologne lorsque cet Écossais accepte « les charges de premier médecin du Roi de Pologne et de surintendant du Jardin des Plantes de Leurs Majestés. » (p. 11). Malheureusement l’hiver est très long, très froid, et le pays est attaqué à la fois par les Suédois à l’Ouest et les Russes à l’Est… Il se prend de passion pour l’étude de la plique (kołtun en polonais). Pendant un voyage avec le roi, Davisson rencontre deux enfants avec les cheveux et le visage verts, des « enfants verts » (p. 18).

Les bocaux – Après la mort de sa mère, un homme, la cinquantaine, cherche « … il ne savait quoi d’ailleurs » (p. 37). Comme il ne trouve rien d’intéressant, il décide « de descendre à la cave. Il n’y était pas allé depuis des lustres alors qu’elle, sa mère, y séjournait fréquemment, ce qui, pourtant, ne l’avait jamais intrigué. » (p. 38). Bizarrement, « la cave était incroyablement bien tenue. » (p. 38) et il est surpris d’y trouver de si nombreux bocaux. Mais certains sont très anciens et leur contenu est… peu reluisant.

Les coutures – Veuf, monsieur B. dort mal depuis qu’il a sorti d’un tiroir un collier de sa défunte épouse et que, « le cordon usé s’était rompu laissant se disperser les perles éteintes au sol. » (p. 43). C’est à ce moment-là qu’il se rend compte aussi que ses chaussettes ont toutes une couture « sur toute leur longueur, des orteils jusqu’à l’élastique en passant par la plante des pieds. » (p. 43). Au magasin, les chaussettes ont aussi cette couture… Les chaussettes seraient-elles « devenues différentes de ce qu’elles avaient toujours été » (p. 45) ? Mais il n’y a pas que les chaussettes ! « Il n’était pas fou, tout de même » (p. 48).

La visite – « Débranche-moi ! Maintenant » (p. 53), supplie Léna. C’est l’histoire de quatre femmes issues de l’homogenèse qui vivent ensemble (Alma, Léna, Fania et la narratrice) et qui ont un fils de trois ans, Chalim. Chacune fait ce qu’elle a à faire ; la narratrice, elle, est autrice et dessinatrice ; elle fait vivre la famille. Mais, aujourd’hui, leur « nouveau voisin doit passer prendre un café avant midi. Un étranger dans la maison. » (p. 55).

Une histoire vraie – Dans une gare, en descendant de l’escalator, une femme tombe. Personne ne s’arrête sauf un professeur. Cela ne lui porte pas chance… Et en dit long sur la société dans laquelle il (on) vit.

Le cœur – Chaque hiver, monsieur et madame M. partent en Asie ou la vie est moins chère. Mais, au retour, monsieur M. a « l’air fatigué et même malade. » (p. 79). L’hiver suivant, le cœur de monsieur M. allant au plus mal, le couple part en Chine pour la greffe d’un nouveau cœur. Mais « Il ne se sentait pas bien, il avait des vertiges et ne cessait d’écouter battre son nouveau cœur. Il lui semblait que les battements étaient différents, poussifs, un peu comme si monsieur M. était en train de courir, de fuir. » (p. 81).

Le Transfugium – Une femme part rendre visite à sa sœur aînée, Renata, au Transfugium. Elle est accueillie par le Dr Choï. Renata a demandé une transfugation et elle doit « terminer les formalités » (p. 98) mais elle n’y comprend rien (et, à vrai dire, moi non plus).

La montagne de Tous-les-Saints – Zurich, sous la neige en mai. La narratrice, psychologue, âgée et malade, est là pour une mission : « soumettre un groupe d’adolescents à un test » (p. 114). Elle va travailler avec Victor et Dany ; le programme prévoit « l’analyse de l’influence du capital social sur l’évolution de l’individu (dit-il), et/ou l’interférence de l’éventail des variables du milieu social sur les futurs succès professionnels (dit-elle) » (p. 120) sur des enfants adoptés. Pendant son temps libre, elle passe son temps avec les bonnes sœurs âgées. Cette histoire est plus mystérieuse et mystique.

Le calendrier des fêtes humaines – Ilon le Masseur est un excellent masseur, un raikone, le masseur attitré de Monokikos. Mais il ne pourra pas transmettre son art et son don à un fils car, veuf, il n’a qu’une fille de seize ans, Oresta. « Il s’inquiétait pour son avenir et, s’il savait parfaitement qu’elle ne pourrait pas prendre sa suite, il lui enseignait tout de même son art. » (p. 148). Dans la première partie, le lecteur a l’impression que cette histoire se déroule dans l’Antiquité mais la deuxième partie vient contredire cette idée.

Pour cette lecture commune consacrée à Olga Tokarczuk, dans le cadre du Mois Europe de l’Est, j’ai privilégié ce recueil de nouvelles, pensant qu’il serait plus abordable (facile et rapide à lire) qu’un gros roman mais je suis un peu dans l’expectative… Je n’ai vu aucune histoire qui sortait du lot, que ce soit dans le passé, le présent, le futur, et ce, même si l’autrice traite de nombreux thèmes. Et, justement, c’est peut-être trop hétéroclite pour attirer l’attention, la mienne en tout cas, ou alors ce n’était pas le bon moment pour lire ces dix nouvelles…

Mais, bien que mon avis général soit mitigé, le style est quand même agréable et les histoires toutes différentes ont tout de même un intérêt littéraire et philosophique. L’autrice parle aussi bien de l’Histoire humaine que des relations avec le monde qui nous entoure, de la relation (ou la non-relation) avec l’environnement et les animaux, de la solitude, de l’âpreté de la vie, de choses qui nous dépassent, etc. Le tout de manière assez froide et sombre mais toujours avec intelligence et avec une imagination immense. Ainsi, je vais voir quels titres proposent les autres participants à la LC pour noter celui (ou ceux) qui m’attirera (m’attireront) le plus afin de le(s) lire mais plus tard car j’ai déjà énormément de livres en ce moment.

Pour ABC illimité (lettre T pour nom), Bingo littéraire d’Hylyirio (case n° 22, un recueil de nouvelles, 2e billet), Challenge lecture 2023 (catégorie 17, un livre avec des voyages dans le temps, ici pas de voyages avec une machine à voyager dans le temps mais avec une machine littéraire qui emmène le lecteur, au fil des histoires, dans le passé, le présent et le futur), Littérature de l’imaginaire #11, Tour du monde en 80 livres et Voisins Voisines (Pologne).

Boubou et ses amis de Yoon-sun Park

Boubou et ses amis de Yoon-sun Park.

Biscoto, janvier 2022, 96 pages, 16 €, ISBN 978-2-37962-046-1.

Genres : bande dessinée sud-coréenne, littérature jeunesse, nouvelles.

Yoon-sun Park naît le 16 juin 1980 à Séoul en Corée du Sud. Elle étudie le design à l’université nationale de Séoul et devient illustratrice. Elle est en résidence à Angoulême en 2008 et se fait connaître des lecteurs francophones avec Sous l’eau, l’obscurité (Sarbacane, 2011). Suivent une dizaine de titres pour adultes ou pour la jeunesse qui lui rapportent des prix à Angoulême ou à Montreuil. En mars dernier, j’ai déjà lu Où est le Club des Chats que j’avais beaucoup aimé mais je n’ai pas (encore) publié ma note de lecture. Plus d’infos sur son blog.

L’anniversaire de Boubou – Boubou est le chien d’Antonin et « aujourd’hui, c’est son anniversaire ! » (p. 9). Antonin et ses amis, Zoé et Raoul, veulent préparer un gâteau pour Boubou mais « le chocolat, c’est du poison pour les chiens ! » (p. 13).

Les clés magiques – Zoé a trouvé 3 clés magiques mais Antonin et Raoul ne croient pas qu’elles soient magiques… Pas de problème, « Zoé va leur montrer ! » (p. 23). Et c’est toute une aventure… magique que vont vivre les enfants et le chien Boubou.

L’école un peu spéciale… – C’est l’heure d’aller à l’école mais Antonin traîne… et il envoie Boubou à sa place ! D’autres ont eu la même idée que lui ! Les élèves vont recevoir un cours bizarre de mathématiques et tout aussi bizarre d’anglais !

Boubou et les bonbons – Les enfants et Boubou veulent profiter de Halloween pour « sonner chez les voisins » (p. 55) et réclamer des bonbons mais un lutin vert les entraîne dans le reflet du miroir. « Hi hi. Si vous avez VRAIMENT  pas peur, venez ! » (p. 59).

Boubou dans la neige – C’est l’hiver et « Antonin a promis à Boubou : Dès qu’il neigera, on ira s’amuser dehors. Autant que tu voudras ! » (p. 73). Mais quand la première neige arrive, c’est la nuit et tout le monde dort… Comment Boubou va-t-il pouvoir profiter de la neige ?

Une belle bande dessinée atypique avec 5 histoires tendres et / ou amusantes. Les jeunes vont s’attacher à Boubou et ses amis et vivre de folles aventures. Mais les grands apprécieront aussi le style et l’humour loufoque de l’autrice.

Pour La BD de la semaine (plus de BD de la semaine chez Fanny) et les challenges BD 2023, ABC illimité (lettre B pour titre), Bingo littéraire d’Hylyirio (case n° 22, cette bande dessinée est un recueil de 5 nouvelles), Challenge lecture 2023 (catégorie 39, un livre d’une autrice coréenne), Jeunesse & young adult #12, Littérature de l’imaginaire #11 et Tour du monde en 80 livres (Corée du sud).

Les secrets de la princesse de Cadignan de Honoré de Balzac

Illustration d’Alcide Théophile Robaudi (1847-1928)

Les secrets de la princesse de Cadignan de Honoré de Balzac.

Nouvelle de 70 pages parue dans le journal La Presse en 1839 (le titre est alors Une princesse parisienne) avant d’être publiée dans le tome XI de La Comédie humaine en 1855 (nouvelle dédiée à Théophile Gautier). Cette Études de femmes fait partie des Scènes de la vie parisienne.

Genres : littérature française, nouvelle, classique.

Honoré de Balzac : je vous laisse consulter sa bio et mes précédentes lectures ici. LC (lecture commune) avec Maggie, Claudia et Rachel. J’en profite pour vous annoncer La Quinzaine balzacienne – organisée par les blogs La Barmaid aux lettres et Et si on bouquinait un peu – qui aura lieu du 15 au 30 juin 2023.

« Après les désastres de la Révolution de Juillet qui détruisit plusieurs fortunes aristocratiques soutenues par la Cour », la duchesse de Maufrigneuse, devenue princesse Diane de Cadignan (le nom de jeune fille de sa mère), s’est cloîtrée chez elle, un appartement avec un jardin et deux domestiques mais c’est une croqueuse d’hommes… et de leur fortune ! Elle a un fils de 19 ans, Georges de Maufrigneuse.

L’histoire commence en 1832, elle a 36 ans, elle a connu de nombreux hommes mais elle s’ouvre à l’unique amie qu’elle a gardée, la marquise d’Espard, lui avouant qu’elle n’a jamais connu un amour véritable. « À vous seule, j’oserai dire qu’ici je me suis sentie heureuse. J’étais blasée d’adorations, fatiguée sans plaisir, émue à la superficie sans que l’émotion me traversât le cœur. J’ai trouvé tous les hommes que j’ai connus petits, mesquins, superficiels ; aucun d’eux ne m’a causé la plus légère surprise, ils étaient sans innocence, sans grandeur, sans délicatesse. J’aurais voulu rencontrer quelqu’un qui m’eût imposé. » « Je suis poursuivie dans ma retraite par un regret affreux : je me suis amusée, mais je n’ai pas aimé. » « Enfin, nous voilà, répondit avec une grâce coquette madame d’Espard qui fit un charmant geste d’innocence instruite, et nous sommes, il me semble, encore assez vivantes pour prendre une revanche. »

« Ah ! je voudrais cependant bien ne pas quitter ce monde sans avoir connu les plaisirs du véritable amour, s’écria la princesse. » Alors la marquise d’Espard décide de lui présenter Daniel d’Arthez. « Daniel d’Arthez, un des hommes rares qui de nos jours unissent un beau caractère à un beau talent, avait obtenu déjà non pas toute la popularité que devaient lui mériter ses œuvres, mais une estime respectueuse à laquelle les âmes choisies ne pouvaient rien ajouter. Sa réputation grandira certes encore, mais elle avait alors atteint tout son développement aux yeux des connaisseurs : il est de ces auteurs qui, tôt ou tard, sont mis à leur vraie place, et qui n’en changent plus. Gentilhomme pauvre, il avait compris son époque en demandant tout à une illustration personnelle. »

Daniel d’Arthez fera-t-il l’affaire de la princesse de Cadignan ? « Ce qui m’a manqué jusqu’à présent, c’était un homme d’esprit à jouer. Je n’ai eu que des partenaires et jamais d’adversaires. L’amour était un jeu au lieu d’être un combat. » La marquise d’Espard organise donc la rencontre et les lecteurs vont retrouver quelques personnages de la Comédie humaine (Michel Chrestien qui fut éperdument amoureux de la princesse est mort mais on parle de lui). « Cette soirée était donnée pour cinq personnes : Émile Blondet et madame de Montcornet, Daniel d’Arthez, Rastignac et la princesse de Cadignan. En comptant la maîtresse de la maison, il se trouvait autant d’hommes que de femmes. » ou de la parité chez Balzac 😉

Malgré les manipulations et les mensonges de la princesse de Cadignan, le baron d’Arthez – qui est plus jeune qu’elle – l’aime passionnément et prend sa défense. Il la considère comme une femme libre, au caractère fort, élégante, moderne (alors que le rôle des femmes était plus que minime… Se marier, avoir des enfants, être discrètes…). « Les femmes savent donner à leurs paroles une sainteté particulière, elles leur communiquent je ne sais quoi de vibrant qui étend le sens des idées et leur prête de la profondeur ; si plus tard leur auditeur charmé ne se rend pas compte de ce qu’elles ont dit, le but a été complètement atteint, ce qui est le propre de l’éloquence. […] Ainsi la princesse avait aux yeux de d’Arthez un grand charme, elle était entourée d’une auréole de poésie. » Elle profite de sa naïveté et le prend dans ses filets, « dans les lianes inextricables d’un roman préparé de longue main ». J’ai tout aimé dans cette histoire en particulier les moments où d’Arthez, complètement sous le charme, fait sa cour à la princesse et la chute.

Balzac, très fier de cette œuvre, écrivait à madame Hańska : « C’est la plus grande comédie morale qui existe » et, comme pour se moquer de ses lecteurs (un peu trop curieux de tout savoir), termine par une géniale pirouette, tout le talent de Balzac. Un amour peut-il être véritable et heureux s’il est né de manipulations, séductions et mensonges ?

À noter que Les secrets de la princesse de Cadignan a été adaptée par Jacques Deray en 1982 avec Claudine Augier (Diane de Cadignan), Marina Vlady (marquise d’Espard), Françoise Christophe (comtesse de Montcornet), François Marthouret (Daniel d’Arthez), Pierre Arditi (Émile Blondet) et Niels Arestrup (Rastignac).

Pour 2023 sera classique, ABC illimité (lettre H pour prénom), Bingo littéraire d’Hylyirio (case n° 15, une relique de ma PàL, tous les Balzac que je n’ai pas encore lus sont des reliques de ma PàL puisque je les ai depuis les années 1980), Challenge lecture 2023 (catégorie 18, une lecture commune, avec Maggie et Rachel) et Les départements français en lecture (Balzac est né à Tours en Indre et Loire).

Une rencontre inattendue d’A.D. Martel

Une rencontre inattendue d’A.D. Martel.

Scrineo, décembre 2022, 11 pages, nouvelle illustrée, lecture numérique.

Genres : littérature française, nouvelle, jeunesse, steampunk.

A.D. Martel fait des études scientifiques mais est doctorante en histoire. Elle aime lire depuis l’enfance, en particulier les littératures de l’imaginaire, et elle se lance tôt dans l’écriture de romans plutôt aventures, fantasy et science-fiction mais aussi quelques romances. Plus d’infos sur son site officiel sur lequel je suis surprise de voir autant de romans déjà écrits.

Rowena, orpheline de 12 ans, est la « meilleure mécanicienne d’Arkantras » (p. 1) mais elle a réparé l’automate pour l’apprenti Arnold et il refuse de la payer… Pire, le contremaître d’Arnold la fiche dehors en déchirant ses vêtements ! « Pourquoi le monde était-il si cruel ? Pourquoi avait-elle été stupide au point de croire que cet apprenti tiendrait parole ? » (p. 4).

Pendant que les riches s’affairent pour Noël, Rowena est maintenant déguenillée, trempée et seule au monde… Alors elle décide de se venger et, en pleine nuit, va récupérer dans l’automate la pièce qu’elle a réparée. Malheureusement elle met trop longtemps et au petit jour, elle est poursuivie par les dockers… Elle doit se cacher et entend « un son étouffé […]. Cela ressemblait… à une plainte. » (p. 7). C’est alors que Rowena découvre un chaton d’environ un mois, « vivant, mais plus pour longtemps » (p. 8). Ce chaton, c’est Monsieur Gratouille.

Scrineo fait mouche avec cette nouvelle inédite offerte pour Noël afin de donner envie de lire De rouages et de sang d’A.D. Martel. Steampunk, chat, cette série a tout pour me plaire et le côté jeunesse ne me dérange pas – au contraire puisque je participe comme chaque année au challenge Jeunesse young adult #12.

Je note donc les deux premiers tomes. Les disparus d’Arkantras paru en mars 2022 et Le trésor du Pink Lady paru en août 2022, les deux tomes étant illustrés par Myrtille Vardelle.

Myrtille Vardelle étudie les métiers du livre (édition-librairie) et la communication puis travaille dans un studio graphique. Elle est illustratrice, photographe et vit à Toulouse. Elle illustre de nombreuses couvertures et romans des éditions Scrineo. Plus d’infos sur son site officiel, Paper & Berries (plus mis à jour), sa page FB et son instagram.

Célestopol 1922 d’Emmanuel Chastellière

Célestopol 1922 d’Emmanuel Chastellière.

L’homme sans nom, mars 2021, 416 pages, 21,90 €, ISBN 978-2-918541-71-4. Sur le site de l’éditeur, il est possible de charger librement la nouvelle Une nuit à l’opéra Romanova (3 parties).

Genres : littérature française, science-fiction, nouvelles.

Emmanuel Chastellière naît en 1981 à Aubenas (en Ardèche) et s’intéresse très jeune aux littératures de l’imaginaire. Il étudie l’Histoire et se lance dans l’aventure Fantasy en 2000 avec Elbakin.net : j’ai l’impression de suivre ce site depuis ses débuts sans connaître les noms de ses créateurs. D’ailleurs je pense avoir découvert Emmanuel Chastellière en tant que traducteur (La chute de la Maison aux Flèches d’Argent d’Aliette de Bodard) avant de le découvrir en tant qu’auteur car c’est cette traduction qui m’a donné envie de le lire. Plus d’infos sur son site et son blog Un mot après l’autre ainsi que sur sa page FB et la page FB de Célestopol.

Vous vous rappelez que j’avais lu et aimé Célestopol (en libretto parce que je ne l’avais pas trouvé aux éditions de l’instant…). Eh bien, voilà, je me lance enfin dans Célestopol 1922 ! Comme pour chaque recueil de nouvelles que je lis, j’aime bien faire un topo et donner un ou deux extraits de chaque nouvelle avant de donner mon avis général sur le livre (le billet est donc un peu long).

Toungouska – Janvier 1922. Ça commence bien puisqu’Arnrún et Wojtek (mes personnages préférés de Célestopol) sont de retour mais… une petite faute page 10 : « Wojtek préféra ne pas rien dire », ne rien dire, c’est mieux (j’espère qu’il n’y aura pas d’autres fautes, vous savez que je n’aime pas ça…). Je rappelle qu’Arnrún est une mercenaire islandaise et Wojtek un ancien soldat dans un corps d’ours qui parle. Ils sont tous deux envoyés en Sibérie (sur Terre donc) par le duc Nikolaï, ‘le prince de la Lune’, car il y a eu un accident en 1908 et une partie de la forêt avait brûlé.

Mon rossignol – On retourne à Célestopol sur la Lune. Alissa une ouvrière qui voudrait faire avancer les droits sociaux et Milan, un député au Parlement, se revoient après huit ans. Mais il n’est pas sûr d’être réélu et de pouvoir faire quelque chose pour elle et ses camarades. D’autant plus que, sur Terre, en Russie, l’impératrice Glorianna a fait passer « par les armes un certain Lénine et ses comparses, après des mois de remous et une prétendue tentative d’assassinat. » (p. 37). Mais la politique n’est pas une tendre amie… Et si Milan la trahissait de la même façon qu’à la fin de leurs études ?

Sur la glace – Pour un gala de patinage au Grand Palais de Céléstopol, le duc Nikolaï invite Victor un grand patineur (et son épouse Colette) mis aux bans de la société par l’impératrice Glorianna. C’est Ajax le majordome automate de Nikolaï qui accompagne partout Victor et, en l’observant s’entraîner sur un étang gelé loin des yeux, il comprend ce qu’a vécu le patineur. Quand le sport et la politique ne font pas bon ménage…

Memento mori – Une famille juive de Bessarabie s’est exilée à Célestopol mais la mère est morte et le père, Joseph Ackerman, médecin très occupé quoique mal payé, n’arrive pas à gérer ses deux filles, Judith 16 ans et Azra 10 ans. La seule chose qui compte pour lui, le memento mori, le petit mausolée consacré à sa défunte épouse. La seule chose qui compte pour les filles, sortir, voir du monde mais elles n’en ont pas le droit. Un cruel drame familial.

Une nuit à l’opéra Romanova – Arnrún et Wojtek ont été embauchés pour protéger les objets à vendre à l’hôtel des ventes, je dis objets mais en fait, la salle est remplie de magiciens et prestidigitateurs qui achètent des tours. Le plus important est le dernier, le n° 50, le Miroir du monde, créé par Buatier de Kolta qui est mort récemment sur scène et l’enchère démarre à deux mille roubles. Sélim le Magnifique l’obtient pour cinq mille roubles et incite tout le monde de venir à sa nouvelle représentation à l’opéra Romanova. « Et je la conclurai… par ce tour ! » (p. 120). Après avoir livré sa malle à l’Ottoman, celui-ci les embauche pour sa propre protection jusqu’au spectacle. Une deuxième faute page 150 : « Je suis désolée, poursuivit Sélim, je n’en aurais toutefois pas pour tout le monde », c’est je n’en aurai (futur pas conditionnel). Incident diplomatique à Célestopol sur fond de magie et d’art !

Le correcteur de fortune – « Pollux […] le cheval de course le plus célèbre au monde » (p. 163) qui gagne toutes ses courses vient d’arriver quatrième au grand prix de l’hippodrome de Célestopol ! Est-ce que Vassili qui vient d’arriver sur la Lune et le ducat d’argent qui ne le quitte jamais y sont pour quelque chose ? Ensuite, il est pour la première fois au Grand Palais pour assister à une compétition d’échecs entre Boris Illivitski, le champion en titre, et un automate, « Ce n’était qu’un torse, avec des mains lui permettant de manipuler les pièces. Mais Vassili n’était pas dupe : cette apparence ne signifiait aucunement qu’il n’était pas capable de jouer, et même de bien jouer. » (p. 174). La chance va-t-elle encore lui sourire ? Une troisième faute page 180 : « Vassili […] fit aussitôt fit volte-face ».

Katarzyna – Après avoir trop bu dans un bar, Kasia, dernière cliente, est abusée par le jeune serveur. « La jeune femme s’enfonça dans les rues, étonnamment déserte cette nuit. » (p. 193). Mais, alors qu’elle est loin des quais, la brume de sélénium est étonnamment haute aussi… Pendant cinq ans, Kasia état pilote pour l’Aéropostale mais elle a arrêté de travailler il y a huit mois… Et elle boit trop, depuis que Piotr, son mari, pilote lui aussi, a disparu… « Son appareil s’était volatilisé quelques heures après le décollage. » (p. 195). Mais lorsqu’elle rentre, un message l’attend avec des coordonnées pour retrouver Piotr !

Le revers de la médaille – Bo-yeong, Coréenne, conçoit des décors en particulier pour le théâtre et vend des livres d’occasion dans sa roulotte ; son mari, Előd est restaurateur de tableaux mais il aimerait vivre de sa peinture. Elle aurait voulu être à l’inauguration de l’amphithéâtre Pierre Curie la veille au soir mais Előd l’avait invitée au théâtre et la pièce lui a déplu… Elle aime lire et tient même un salon de lecture mais… « Dans l’esprit de tout un chacun, lire, entre autres choses, demeurait un loisir frivole. Qui pouvait se permettre de se laisser aller à l’oisiveté quand la crise menaçait ? » (p. 222). Un jour, elle rencontre par hasard une dame et l’invite chez elle à son salon de lecture mais elle ne sait pas que c’est Tuppence Abberline, la maîtresse du duc Nokolaï, qui ensuite lui fera une étrange proposition.

Un visage dans la cendre – Kokorin est un voleur mais il respecte le code d’honneur des Vorovskoy Mir (le monde des voleurs). Or des Cheyennes sont arrivés à Célestopol et ils ne respectent rien… Rien à voir avec les Indiens d’Amérique, ils sont comme les Apaches, les voyous de Paris. «un code que  ces ‘terreurs’ d’un genre nouveau considéraient avec un cynisme et une arrogance extraordinaires. Leurs méthodes, leur manque de discrétion… […] Ils lui étaient tombés dessus à six […] » (p. 238-239). Mais des gamins ont remarqué qu’en une nuit, les chats ont tous disparu alors que, parmi eux, un plus petit, Frigg, était leur mascotte… Kokorin va-t-il retrouver les chats ? Une quatrième faute page 244, « À parti du moment ».

La malédiction du pharaon – Le Caire, septembre 1922. Howard Carter peint pour survivre. Par manque de subventions, les fouilles archéologiques sont arrêtées depuis deux ans : « l’Empire russe de la cruelle tsarine Glorianna et la Nouvelle-France du téméraire Napoléon IV avaient broyé l’Angleterre, littéralement ou presque. » (p. 266). Un soir, il est contacté par un inconnu, Ajax (qui n’est pas un inconnu pour le lecteur), qui lui propose un chantier… sur la Lune ! « En toute discrétion, cela va de soi. » (p. 270). Une semaine plus tard, Carter secondé par des automates découvre un chantier incroyable et des inscriptions avec un alphabet bien plus qu’antique !

Paint Pastel PrincessChez Hécate, un bordel de luxe à Célestopol, enfin « un établissement de standing » (p. 298). Léon, le gardien, a dû mettre dehors, Igor, le chauffagiste qui essayait de violer Hilda, le nouvel automate féminin. Pélagie, une Berlinoise venue s’installer sur la Lune, est une spécialiste des masques « pour les blessés de guerre, les défigurés. […] Des dizaines de masques, bien plus élaborés, bien plus réalistes que la moyenne, qui lui avaient valu la reconnaissance de ces braves jeunes gens et l’intérêt de la maison close. » (p. 301). Léon est un vétéran de la guerre de Crimée mais il n’est pas une gueule cassée, il a perdu une main et porte une prothèse (il ne quitte jamais son gant) ; il est hanté par la colline sur laquelle sont morts presque tous ses camarades. « […] il était là, avec eux. Chaque nuit. Avec les morts, ces éclopés incapables de se faire à leur nouvelle existence, si loin de cette vie qu’ils avaient espéré retrouver. » (p. 306). Une cinquième faute page 329, « Je viendrais vous voir prochainement avec le reste. », de nouveau c’est le futur pas le conditionnel donc je viendrai.

La fille de l’hiver – Décembre 1922. Célestopol prépare Noël et « Les lumières du marché de Noël de Célestopol scintillaient gaiement sous le dôme de verre de la cité lunaire. » (p. 331). Mais les miséreux n’en profitent pas, rares sont ceux qui peuvent s’offrir un vin chaud ou un sachet de marrons… Pourtant une jeune femme en haillons s’aventure sur le marché (illustration de couverture) sous les regards stupéfaits puis méprisants des ‘honnêtes’ gens. Un policier s’approche d’elle mais elle tremble et ses propos sont inintelligibles, à part « Kocht… » et « Ni… Nikolaï » (p. 335) puis elle se met à hurler, « Un cri sauvage, vibrant de souffrance. » (p. 335) à tel point que tout le monde doit se mettre les mains sur les oreilles et à tel point que la statue gigantesque de Nikolaï se fissure et se casse ! Qui est cette fille de l’hiver qui a disparu ? Une sixième faute page 384, « Je ne me serai souvenu de rien », ce n’est pas le futur mais je ne me serais, une septième page 393, « je ne pourrais jamais rentrer chez moi. », ici c’est l’inverse, c’est je ne pourrai, et une huitième page 397, « Anastasia, dès je t’ai aperçue », il manque le que, décidément…

Danser avec le chaos – Janvier 2023, désert de Lirania. Trois jeunes femmes, Elzebeth, Aranaï et Taledine, ont volé un des grimoires sacrés des sorcières de Thran pour l’apporter au Prophète qui est annoncé. « Les Parchemins du Chaos. Tchernobog. Le Dieu Noir. Le Dieu de la Lune. » (p. 404). Mais les jeunes femmes se réveillent dans les ténèbres… « Vous avez dérobé ce qui ne vous appartenait pas […]. Vous vous êtes moquées des ouvrages sacrés de mes disciples. La nuit et l’obscurité règnent ici. Il est temps pour vous de payer le prix de votre audace. » (p. 410). Alors que le duc Nikolaï ne pense qu’à la science, il y a peut-être bien un peu de magie sur la Lune !

Voilà, j’ai lu les 13 nouvelles de ce deuxième recueil de Célestopol et j’ai pris du plaisir à passer cette année 1922 sur la Lune. C’est ma deuxième incursion sur la Lune et j’ai été enchantée de retrouver Arnrún et Wojtek (qui étaient mes personnages préférés de Célestopol comme je l’ai dit plus haut) et j’ai bien aimé Ajax, le majordome du duc Nikolaï (qui peut-être n’apparaît pas auparavant ou alors il ne m’avait pas autant marquée qu’ici). Je passe sur les huit fautes (de grammaire ou d’inattention, citées ci-dessus) et je dis que l’ouvrage est quand même un livre soigné avec ses jolies entêtes de chapitres (une illustration genre architecture de métal et de verre qui correspond très bien à la cité lunaire). Comme dans le premier recueil, ces nouvelles de science-fiction sont spatiales (sur la Lune, sans être du space opera) et rétro-futuristes (un début de XXe siècle différent du nôtre et plus futuriste au niveau technologique) avec son côté steampunk (où la vapeur est remplacée par du sélénium, l’énergie gazeuse sur la Lune). Les nouvelles sont également plus ou moins liées entre elle, en tout cas, il y a un fil directeur qui les relie (par exemple, dans Un visage dans la cendre, c’est sûrement Joseph, le médecin de Memento mori que Kokorin voit ivre à l’auberge, et dans La fille de l’hiver, le lecteur retrouve Judith, une des deux filles de Joseph, il y a comme un petit côté Comédie humaine avec ces personnages qui (ré)apparaissent). De plus, le style de l’auteur est fluide, maîtrisé, il a toujours le mot juste, il ne s’étale pas, il écrit ce qu’il faut pour que les nouvelles aient la bonne taille et leur chute est souvent terrible. Il y a bien sûr des clins d’œil à Jules Verne, à Lovecraft, entre autres. Les sujets abordés sont souvent douloureux comme la guerre, l’espionnage, la pauvreté et la lutte sociale, l’exil, la politique, des choses que, peut-être le duc Nikolaï aurait voulu laisser sur Terre mais qui malheureusement persistent sur la Lune, mais il y a aussi de l’art, de la magie, du sport, des amitiés et même des chats. Célestopol 1922 a été nominé pour plusieurs prix littéraires en 2021 et 2022.

Ils l’ont lu : Aelinel de La bibliothèque d’Aelinel, Amanda sur Les Fantasy d’Amanda, Apophis de Le culte d’Apophis, Boudicca sur Le Bibliocosme, CélineDanaé de Au pays des CaveTrolls, Le Chien critique, Les chroniques du Chroniqueur, Dup de Bookenstock, La Geekosophe, Gromovar de Quoi de neuf sur ma pile, Karine sur ImaJnère, Lhisbei de RSF blog, Lorhkan, Lune de Un papillon dans la Lune, Maks de Un bouquin sinon rien, Nicolas sur Just a Word, Le nocher des livres, Sometimes a book, Stéphanie sur De l’autre côté des livres, Symphonie de L’imaginaerum de Symphonie, Le syndrome Quickson, Yuyine, Zina sur Les pipelettes en parlent, Zoé prend la plume, d’autres ?

Pour les challenges Littérature de l’imaginaire #10, La bonne nouvelle du lundi, Petit Bac 2022 (catégorie Chiffres pour 1922), Textes courts (nouvelles entre 14 et 60 pages) et Vapeur et feuilles de thé.

Comment se passe ton été ? de KIM Ae-ran

Comment se passe ton été ? de KIM Ae-ran.

Decrescenzo éditeurs, collection Micro-fictions, juin 2015, 162 pages, 12 €, ISBN 978-2-36727-033-3. Bihaengun (2012) est traduit du coréen par Kette Amoruso et Lucie Angheben.

Genres : littérature sud-coréenne, nouvelles.

KIM Ae-ran 김애란 naît en 1980 à Incheon en Corée du Sud. Source Wikipédia : « Elle a fait son entrée en littérature avec une nouvelle intitulée La porte du silence (Nokeuhaji anneun mun), publiée dans la revue Changbi, remportant le prix littéraire de Daesan pour étudiants en 2002. Elle est récompensée par le prix de l’écriture Daesan en 2003 pour Maison inconnue (cette nouvelle a aussi été traduite et publiée sous le titre : Quatre locataires et moi). C’est avec sa première nouvelle, Cours papa, cours ! (Dallyeora abi, 2005) et l’obtention du prix littéraire Hankook Ilbo dès 2005 que Kim Ae-ran a commencé à se faire un nom dans le monde de la littérature coréenne. En 2008, elle remporte le prix Lee Hyo-seok pour sa nouvelle Le couteau de ma mère (Kaljaguk). Dans sa postface à Cours papa, cours !, le critique littéraire Kim Dong-shik la décrit comme ‘l’auteure qui détruit la grammaire du roman traditionnel’. » Chez Philippe Picquier : Ma vie palpitante (2014) et chez Decrescenzo éditeurs : Ma vie dans la supérette (2013) et Chansons d’ailleurs (2016).

Les Goliath asiatiques – « La mousson s’abattit peu après le décès de mon père. » (p. 11). Pluies diluviennes… Comment va-t-on faire pour la tombe ? « […] personne ne mettait le nez dehors. » (p. 12). La mère et le fils (le narrateur, un adolescent) vivent dans un appartement acheté par le père il y a vingt ans mais l’immeuble Gangsan, construit à la va-vite, est vétuste et va être détruit ; il ne sont plus que les deux à y habiter… Plus d’électricité, plus de gaz, encore un peu d’eau mais « Nous étions conscients que notre séjour ici ne pouvait s’éterniser. » (p. 16). Au bout de deux semaines de pluie, sans aucun contact avec l’extérieur, la mère devient apathique et ne parle plus… Le fils ne sait même pas si elle se nourrit, il ne sait pas quoi faire pour l’aider… Après un mois de pluie et une nuit d’orages, la pluie s’arrête un peu mais, depuis la véranda, le fils voit que le village a disparu ! « Et si la digue avait cédé ? » (p. 32). Il fabrique un radeau avec trois portes et embarque avec le corps de sa mère mais rien que de l’eau et de la boue à l’horizon… Pas d’humains, pas d’hélicoptères… Seulement des Goliath, des grues de travaux dont les pieds sont dans l’eau. Au bout de deux jours, seul et à bout de force, il s’effondre. « Que faire et où aller ? Je n’en avais pas la moindre idée. Peut-être, étais-je arrivé au plus loin que je pouvais. C’était fini. Mon voyage s’arrêtait là. […] Combien de temps allais-je tenir ? Qu’éprouvait-on en rendant son dernier soupir ? Et qu’adviendrait-il de mon corps ? […] » (p. 49). Dans une situation apocalyptique, la tension monte de plus en plus.

Comment se passe ton été ? – La narratrice, Mi-young, se prépare pour les funérailles d’un ami d’enfance lorsqu’elle reçoit un appel téléphonique de son seonbae (ami universitaire) dont elle n’a pas de nouvelles depuis deux ans. Après la conversation, les souvenirs remontent à la surface. Elle avait 20 ans, elle arrivait dans une ville qu’elle ne connaissait pas pour étudier à l’université et c’est à « la soirée de bienvenue aux nouveaux étudiants » (p. 59) qu’elle a rencontré Jun. Elle était amoureuse de lui mais il avait déjà une petite amie… Pour faire plaisir à son seonbae, elle participe à contre-cœur à une émission débile pour la télévision… Ensuite, ce sont des souvenirs d’enfance avec Min-su, sa meilleure amie, et Byeong-man, le copain de classe décédé, qui reviennent.

Les insectes – Un couple de jeunes mariés emménage dans un immeuble appelé la Villa des Roses mais le quartier va faire « l’objet d’un programme de rénovation urbaine » (p. 96). Je ne sais pas comment sont construits les immeubles en Corée du Sud mais, apparemment, au bout de 30 ans, ils sont décrépis et doivent être rénovés ou démolis (voir Les Goliath asiatiques plus haut) et je ne pourrais pas habiter dans un logement qui donne sur un précipice de 10 m… avec en plus des travaux en bas… La femme est la narratrice, elle raconte les bruits, les odeurs de nourriture, même « le silence des pots de plantes qui prenaient le soleil aux fenêtres » (p. 94) et aussi, les insectes… « perceptibles mais impossibles à attraper. » (p. 97). Une erreur page 103 (elle parle du bruit incessant des voitures) : « je m’en suis plain auprès de mon mari », plain sans t à la fin ? La femme est enceinte, ce n’était pas prévu pour tout de suite mais elle va garder le bébé. Cependant, avec tous les insectes, « comment élever convenablement un enfant dans ces conditions ? » (p. 111).

Trente ans – Après avoir reçu un paquet, Su-in, la narratrice – qui a maintenant trente ans – repense à Seong-haw, son Eonni, c’est-à-dire sa camarade de chambre à la fac (de cinq ans plus âgée) qu’elle n’a pas vue depuis dix ans et qui vient d’avoir un bébé. Elle lui répond même si elle n’est pas sûre d’envoyer la lettre. « Au cours de ces 10 dernières années, j’ai déménagé six fois, cumulé une dizaine de petits boulots, fréquenté deux hommes. Voilà ce que j’ai fait. Il n’y a rien d’autre. Le bilan de ma jeunesse me laisse un sentiment de désarroi. En quoi ai-je évolué ? Plus dépensière que jamais, incapable de faire confiance et portée sur les jolies choses, je me demande avec anxiété si je ne suis pas devenue une adulte insignifiante. […] Je m’inquiète d’être la seule à faire fausse route, au risque de n’arriver à rien. » (p. 134). J’ai l’impression que, comme au Japon, la barre des 30 ans est très importante pour les femmes en Corée du Sud. Et je suis sidérée de voir comment les étudiants galèrent pour obtenir leur diplôme (ils se sont endettés) et, ensuite, trouver un travail adéquat donc ils se contentent de petits boulots mal payés alors qu’ils ont étudié durant cinq ans ou plus… « Voilà à quoi étaient réduits des étudiants pleins d’avenir. Au XXIe siècle et en plein cœur de Séoul, de surcroît. » (p. 148).

Il me semble que c’est la première fois que je lis cette autrice. Son écriture précise – et parfois poétique – est cependant glaçante, elle claque et les chutes de ces micro-fictions (des nouvelles donc) sont terribles ! La vie semble vraiment difficile et compliquée à Séoul. Résolument à découvrir ! Dommage que le Challenge coréen n’existe plus pour partager cette lecture…

Pour La bonne nouvelle du lundi, Challenge de l’été – Tour du monde (3e niveau, dernière lecture d’Asie, challenge terminé), Challenge lecture 2022 (catégorie 1, un livre dont le titre est une question), L’été lisons l’Asie (MENU FIL ROUGE : TOUR DE L’ASIE avec la Corée du Sud et MENU D’AOÛT : IMAGINONS L’ASIE avec recueil de nouvelles), Petit Bac 2022 (catégorie Ponctuation pour le point d’interrogation), Les textes courts (chacune des 4 nouvelles fait une quarantaine de pages).

To Repel Boarders (À l’abordage) de Jack London

To Repel Boarders (À l’abordage) de Jack London.

En numérique, anglais (1902) et français, une dizaine de pages.

Genres : littérature états-unienne, nouvelle, classique.

Comme j’ai eu du mal ces derniers jours pour lire et rédiger une note de lecture, j’ai choisi de lire une nouvelle. Je l’ai lue en anglais et en français.

Cette nouvelle de Jack London est parue aux États-Unis dans le St. Nicholas Magazine en juillet 1902 puis dans le mensuel McClure, Phillips & Co (1922) et dans le recueil Dutch Courage and Other Stories (The Macmillan Co, 1922).

Elle a été traduite en français par Louis Postif et publiée sous le titre À l’abordage dans Les pirates de San Francisco et autres histoires de la mer (10/18, recueil, 1973) puis dans Le mouchoir jaune et autres histoires de pirates (Folio, recueil, 1981) puis dans L’évasion de la goélette (Gallimard, recueil, 2008).

Jack London, de son vrai nom John Griffith Chaney (quoique William Chaney nie être le père et que, suite au séisme de 1906, les registres sont détruits), naît le 12 janvier 1876 à San Francisco en Californie (États-Unis). Avec sa mère, remariée à John London (qui a plusieurs enfants de son premier mariage), la famille déménage souvent mais reste en Californie (baie de San Francisco, Oakland, Alameda, San Mateo…). John/Jack vit au milieu des animaux, aime lire dès l’enfance, fréquente l’école, la bibliothèque et est embauché pour des petits boulots mais ce qu’il aime, c’est la mer et la liberté. Il devient le « prince des pilleurs d’huîtres », boit beaucoup mais gagne bien sa vie jusqu’à ce qu’il perde son bateau. Ensuite, il s’engage sur un bateau, profite d’une vie vagabonde, puis travaille pour reprendre ses études. Il devient journaliste, nouvelliste, romancier, poète, dramaturge, militant aussi, il part au Klondike où il trouve matière à écrire (à défaut d’or), il se marie avec une amie et le couple a deux filles. Il écrit sur l’East End (un quartier pauvre de Londres), il est correspondant pour la guerre russo-japonaise, pour la guerre de Corée, se passionne pour la révolution russe puis voyage dans le Pacifique et en Océanie. Il va aussi au Mexique, à Hawaii, bref il a une vie bien remplie et de quoi écrire articles et fictions (il est d’ailleurs l’écrivain le mieux payé du XXe siècle) d’autant plus qu’il s’inspire d’auteurs français et britanniques qu’il apprécie. Il meurt le 22 novembre 1916 à Glen Ellen en Californie et certains de ses titres sont publiés posthumes. Nombres de ses œuvres sont adaptées (séries, cinéma, bandes dessinées, chansons même).

La nouvelle To Repel Boarders (À l’abordage) est un dialogue entre Paul Fairfax et Bob Kellogg. Paul est persuadé de ne pas être à sa place, de ne pas être né au bon moment, il aurait aimé vivre durant « the days of the sea-kings », c’est-à-dire à l’époque des rois de la mer. « No, honest, now, Bob, I’m sure I was born too late. The twentieth century’s no place for me. If I’d had my way… ».

Paul et Bob, nés à Bay Farm Island à San Francisco, sont amis d’enfance. Leur rêve ? La mer ! Là, ils sont sur The Mist / La Brume, il est passé minuit et c’est la première fois qu’ils naviguent de nuit. « The Mist, being broad of beam, was comfortable and roomy. ». « La Brume, étant large de poutre, était confortable et spacieuse. ».

Paul déplore qu’au XXe siècle, il n’y a plus de romance et d’aventure comme avant… Trop de civilisation… Paul vit dans une nostalgie qu’il n’a pas connue… « Why, in the old times the sea was one constant glorious adventure, he continued. A boy left school and became a midshipman, and in a few weeks was cruising after Spanish galleons or locking yard-arms with a French privateer, or — doing lots of things. ». « Pourquoi, dans les temps anciens, la mer était une aventure glorieuse constante, poursuivit-il. Un garçon quittait l’école, devenait aspirant et, en quelques semaines, il naviguait après des galions espagnols ou verrouillait les bras de cour avec un corsaire français, ou faisait beaucoup de choses. ».

C’est que Paul lit beaucoup, a beaucoup d’imagination et rêve d’aventure ! Mais l’aventure n’est pas encore au rendez-vous… Tout à coup, leur bateau entre en collision avec le filet d’un autre bateau… « You break-a my net-a! You break-a my net-a! », pas contents les pêcheurs pirates qui ont abordé avec des couteaux The Mist et attaquer les deux jeunes hommes qui ne s’en sont sortis que grâce au vent. « Now that you’ve had your adventure, do you feel any better? ». « Maintenant que tu as vécu ton aventure, tu te sens mieux ? ».

Souvenir d’enfance ? Souvenir d’une lecture ? Véritable petite aventure ? L’auteur aime la mer, la navigation, le danger et ça se ressent dans cette courte nouvelle. Je me rappelle avoir lu quelques titres à l’adolescence, L’appel de la forêt, Croc Blanc, des titres qui m’avaient marquée et il faudrait que je relise plus sérieusement cet auteur précurseur du Nature Writing.

Pour 2022 en classiques, Les classiques c’est fantastique (en juillet, le thème est bord de mer ou grand large) et Les textes courts.

Rencontrer Barbe Nicole de Colombe Schneck

Rencontrer Barbe Nicole de Colombe Schneck.

Bold by Veuve Clicquot (programme existant depuis 2019), édition des Héroïnes, 24 pages, Grand prix de l’héroïne Madame Figaro.

Genres : littérature française, nouvelle, biographie.

Colombe Schneck naît le 9 juin 1966 à Paris (France) dans une famille d’origine lituanienne (grand-mère maternelle) et juive russe (grand-père maternel). Elle étudie à l’Institut d’études politiques de Paris et a une maîtrise de droit public de l’université Paris 2. Ensuite elle est en résidence d’écriture à la Villa Médicis à Rome (en 2013) et obtient une bourse Mission Stendhal de l’Institut français (à Santa Cruz de la Sierra en Bolivie). Elle est journaliste à la radio, autrice (depuis 2006), réalisatrice de documentaires et membre du Collectif 50/50 (qui promeut l’égalité des femmes et des hommes et la diversité dans le cinéma et l’audiovisuel). Plus d’infos sur son compte Instagram.

« Je ne m’y attendais pas. Elle me paraissait être une femme impressionnante, mais pas forcément une femme à aimer. » (premières phrases, p. 3).

La veuve Clicquot, vous connaissez ? Mais Barbe Nicole ? Eh bien, ce sont ses prénoms. C’est à elle que Colombe Schneck consacre cette nouvelle, une femme – de seulement 1,46 m – dont elle aurait « aimé être l’amie » (p. 4). « Une femme qui s’est affranchie de tout ce qui était interdit aux femmes de son époque, une révolutionnaire, une inventrice, une femme généreuse, aimante et juste. Une femme qui a passé sa vie à apprendre, à dépasser ce qu’on espérait d’elle. » (p. 4).

À la mort de son mari en 1805 (il avait 30 ans), elle a 27 ans, une fille de 3 ans et s’occupe (grâce à l’accord de son beau-père qui aurait préféré vendre après la mort de son fils unique) de l’entreprise familiale. « Il n’existe pas en ce début du XIXe siècle, ni en France ni en Europe, de femme chef d’entreprise. Elle n’a pas de modèle. Elle n’a pas été élevée, éduquée pour cela. » (p. 8). Pourtant « En 1810, la société Veuve Clicquot Ponsardin est créée ; Barbe Nicole a pris seule la direction de l’entreprise […]. » (p. 10) et 1810 est le premier millésime de Champagne Veuve Clicquot.

Barbe Nicole était une bonne cheffe d’entreprise, inventrice et bienveillante. Elle prenait soin de ses employés, les encourageait, continuait de les payer lorsqu’ils étaient malades (alors qu’aucune législation n’existait à cette époque), elle participait aux vendanges et améliorait son Champagne pour en vendre plus et gagner plus et payer plus ses employés. Elle a même créé son Champagne rosé avec quelques gouttes du « vin rouge des vignes du terroir champenois de Bouzy » (p. 19) qu’elle appréciait, des étiquettes plus sobres et « une bouteille plus ronde, qui deviendra la bouteille champenoise. » (p. 19).

La nouvelle est agrémentée de 2 tableaux et 2 photos (p. 12-15). Sur le seul portrait d’époque, elle est représentée par Léon Cogniet en 1859 avec son arrière-petite-fille, Anne de Mortemart-Rochechouart, future Duchesse d’Uzès, « la première femme en France à décrocher son permis de conduire » (p. 22).

Bien sûr la nouvelle est (très) courte alors j’ai fait quelques recherches.

Barbe Nicole Ponsardin naît le 16 décembre 1777 à Reims dans la Marne en Champagne. Elle est la fille du Baron Ponce-Jean Nicolas Ponsardin. Elle étudie à l’abbaye bénédictine Saint-Pierre-les-Dames (sauf pendant la Révolution durant laquelle est elle cachée chez une couturière). Ensuite, elle étudie chez ses parents. Elle se marie à François Clicquot issu d’une famille bourgeoise (enrichie dans le textile, comme son père) en juin 1798 et, ensemble, ils parcourent les domaines de Champagne, le domaine Clicquot ayant été fondé en 1772. Le couple a une fille née en 1799, Clémentine. Lorsque François Clicquot meurt en octobre 1805, Barbe-Nicole Clicquot-Ponsardin devient son héritière, plus connue sous le nom Veuve Clicquot qui donne le nom à un Champagne (j’en ai bu une seule fois, avec des amis). Elle travaille avec Louis Bohne et avec Alexandre Fourneaux (de Fourneaux & Cie, devenu Taittinger), puis elle invente le procédé de la « table de remuage » qui permet au Champagne d’être plus clair et limpide (prise de mousse, seconde fermentation) en faisant tourner chaque jour les bouteilles sur des pupitres (râteliers) en bois (au lieu de les conserver dans du sable, méthode ancestrale inventée par les moines) et qu’elle perfectionne avec son chef de cave, Antoine-Aloys de Muller. Maintenant les vignerons champenois utilisent cette méthode de façon automatisée, sauf les petits vignerons traditionnels. Elle devient célèbre, achète d’autres vignobles en Champagne et vend son Champagne dans le monde, en particulier en Russie. La veuve Clicquot, c’est une histoire de femmes puisqu’elle a eu une fille, une petite-fille et une arrière petite-fille. Devenue une femme d’affaires célèbre, elle est la première femme à diriger une maison de Champagne. Elle est morte le 29 juillet 1866 à Boursault (elle s’était retirée au Château de Boursault qu’elle avait fait reconstruire pour sa fille, devenue comtesse de Chevigné).

Le prix Veuve Clicquot a été créé en 1972 par la maison de Champagne Veuve Clicquot Ponsardin et il récompense chaque année (depuis 1983) une femme chef d’entreprise ou manager (prix représenté dans 27 pays). Il existe aussi le prix Clémentine, créé en 2014 pour récompenser les dirigeantes nouvelles générations de jeunes entreprises et startups. En décembre 2022, le prix Veuve Clicquot célébrera ses 50 ans.

Vous connaissez la chanson Cliquot du groupe Beirut dans The Flying Club Cup (leur 2e album sorti en 2007, que j’ai), vidéo ci-dessous.

 

Les quatre fils d’Ève de Vicente Blasco Ibáñez

Les quatre fils d’Ève de Vicente Blasco Ibáñez.

La Revue de Paris, 1922, 45 pages (lecture numérique). Los cuatro hijos de Eva (1921) est traduit de l’espagnol par Georges Hérelle.

Genres : littérature espagnole, novella, classique.

Vicente Blasco Ibáñez naît le 29 janvier 1867 à Valence (Espagne). Il étudie le droit dès 1882 et publie son premier texte dans une revue de Valence puis, à Madrid, il fonde le journal fédéraliste La Revolución en 1887 et publie Fantasías (son premier livre). Écrivain, journaliste et homme politique, il est considéré comme l’un des plus grands romanciers de langue espagnole (avec ses romans de style naturaliste, il est comparé à Émile Zola). Il fonde le blasquisme (mouvement idéologique populiste et républicain, anticlérical et qui appelle à l’insurrection) et le journal El Pueblo en 1894. Il publie de nombreux romans entre 1892 et 1929 (plusieurs sont adaptés au cinéma) et il est invité pour des conférences en Europe et en Amérique (en particulier en Argentine et aux États-Unis). Il s’exile en France en 1925 et meurt à Menton (France) le 28 janvier 1928.

Durant l’hiver en Europe, des migrants, des Espagnols et des Italiens pour la plupart, partent moissonner chaque année en Argentine. Malgré le prix du voyage, ils gagnent plus là-bas (6 pesos par jour) que dans leur pays (quelques centimes). Les propriétaires argentins [les] appellent ‘hirondelles’ » (p. 3). Le tio (oncle) Correa, un Espagnol qui travaille en Argentine depuis trente ans, est « l’oracle des moissonneurs espagnols » (p. 4), un patriarche respecté mais ce jour-là, un homme avait eu le bras broyé et il resterait handicapé à vie. Alors Correa se lamente et se plaint…

« Le mal est sans remède. Il y aura toujours des riches et des pauvres, et ceux qui sont nés pour servir les autres doivent se résigner à leur triste sort. Ma grand’mère le disait bien, et pourtant elle était une femme : c’est la faute d’Ève s’il n’y a pas d’égalité dans le monde ; et nous, qui passons rageusement notre vie à servir et à engraisser les autres, c’est la première femme que nous devons maudire pour la servitude à laquelle elle nous a condamnés. Mais quel est le mal qui n’a point pour cause les femmes ? » (p. 6). Il faut bien un(e) coupable quelle que soit l’époque…

Mais pourquoi Ève ? Remontons à l’époque où Adam et Ève sont « chassés du Paradis terrestre et condamnés à gagner leur pain à la sueur de leur front » (p. 7) et comprenons bien qu’en fait c’est Adam qui a tout fait, tout inventé, tout construit, tout travaillé ! Quant à Ève, elle mettait « au monde un enfant tous les ans, quelquefois deux, ― elle ne pouvait pas s’en dispenser, puisqu’elle avait la mission de peupler la terre, ― elle demeurait toujours aussi jolie. » (p. 10). Oui, vous avez bien lu ! Pourquoi je lis ça, moi ? Bon, c’est pour la bonne cause, grand auteur espagnol, classique, tout ça…

Alors qu’Adam est « le travailleur infatigable, le bon procréateur » (p. 11), Ève est parfois « injuste et agressive » (p. 10), surtout elle est une coquette, fantaisiste et ambitieuse qui délaisse ses enfants et devient vaniteuse… Euh, c’est plus que de l’anticléricalisme de la part de l’auteur, là, c’est de la misogynie pure et dure ! Y aurait-il quelque chose que je ne comprends pas dans cette histoire ? Bon, continuons…

Bref, un jour, un chérubin prévient Ève que, s’il ne pleut pas, le Créateur viendra leur rendre visite sur Terre. C’est pourquoi elle choisit, parmi la centaine d’enfants, ses quatre préférés « et elle les débarbouilla, les habilla le mieux qu’elle put. Puis, avec force bourrades, elle poussa tous les autres dans une étable et les y enferma sous clef, malgré leurs protestations. » (p. 23). Arrivent l’escorte, les archanges et le Seigneur avec les anges et les hauts dignitaires de la cour céleste… Le Seigneur ne veut pas revenir sur la punition qu’il a infligée à Adam et Ève mais il considère que leurs enfants sont innocents donc il veut leur faire un cadeau à chacun mais… « Quatre enfants seulement ? ― s’étonna le Seigneur. ― Je vous croyais une descendance plus nombreuse. Mes cadeaux ne me ruineront pas. Allons, petits, approchez. » (p. 27).

Je ne vous dis pas le cadeau que reçoit chacun des quatre fils, oui Ève a choisi quatre fils, aucune fille… Lisez ce conte presque biblique qui vous éclairera indubitablement sur « l’absurde logique par laquelle l’humanité se laisse conduire » (p. 33) puisqu’un tout petit nombre dirige (en plus quatre n’est pas un très bon chiffre dans certains pays du monde) alors que les autres sont enfermés dans l’étable comme un troupeau honteux qu’on doit cacher… Le monde est finalement une « éternelle tragédie » (p. 36) et je comprends où le vieux Correa voulait en venir au niveau social et humain même si j’ai un peu de mal avec ce non-humour cinglant. Mais, résolument à lire, à découvrir !

Avez-vous déjà lu cet auteur espagnol ? Si oui, quel(s) titre(s) ? Je me laisserais bien tenter (un de ces jours) par le roman Les quatre cavaliers de l’Apocalypse (Los cuatro jinetes del Apocalipsis, 1916). En tout cas, vous pouvez lire Les quatre fils d’Ève sur plusieurs sites en numérique et sur Wikisource en espagnol.

Après L’œuf de cristal de H.G. Wells, un auteur anglais, hier, je continue le tour d’Europe, thème de mai de Les classiques c’est fantastique avec cet auteur espagnol que je ne connaissais pas et je mets aussi cette lecture dans 2022 en classiques, Mois espagnol et sud-américain, Petit Bac 2022 (catégorie Famille pour Fils) et Les textes courts.