Rencontre avec Gilles Marchand

Chers ami(e), lecteurs et lectrices, je sais que vous êtes nombreux à apprécier les romans et le recueil de nouvelles de Gilles Marchand ; vous en parlez souvent sur vos blogs et sur les réseaux sociaux.

La médiathèque La Passerelle a reçu jeudi 16 novembre Gilles Marchand pour Le soldat désaccordé qui a gagné le Prix La Passerelle 2023 + Prix La Passerelle 2023 – Les résultats et le gagnant avec 52 votes (loin devant le 2e qui a 39 votes).

Gilles a déjeuné avec les bibliothécaires et deux profs de lycée (il était avec leur classe l’après-midi) puis est revenu à la médiathèque pour la soirée. Les bibliothécaires (y compris retraitées) et les lecteurs étaient nombreux pour la rencontre animée, comme d’habitude, par François qui avait lu tous les titres de l’auteur et qui a pu rebondir sur les similitudes et les différences entre les différents titres mais pas que. Questions de François très pointu au niveau historique, réponses de Gilles, puis échanges avec les lecteurs, toujours ravis et intéressés, quoiqu’un peu intimidés, de rencontrer un auteur, surtout si c’est celui pour lequel ils ont voté, lectures d’extraits : un par Gilles qui lit très bien, un par Sonia, une lectrice adorable qui faisait partie du comité de lecture cette année et qui ayant des dizaines de post-it dans son livre – qu’elle a joyeusement fait dédicacer – a pu retrouver le passage dont parlait Gilles. Pas de rencontre sans dédicaces et, notre libraire étant présente, chacun a pu acheter un ou plusieurs livres et le(s) faire dédicacer pour soi-même ou pour des ami(e)s absent(e)s. Un très beau moment humain et littéraire donc, merci à toute l’équipe et à Gilles !

Vous pouvez cliquer !

Gilles Marchand est un auteur très abordable, gentil, sincère, et j’ai beaucoup apprécié son côté rock’n’roll. Je vais bien sûr lire les titres que je n’ai pas encore lus de lui : j’avais commencé Une bouche sans personne (2016) mais il s’est retrouvé encartonné dans le déménagement de 2016 (et il y est encore) et j’emprunterai à la médiathèque le roman Un funambule sur le sable (2017) et le recueil de nouvelles Des mirages plein les poches (2018). Je rappelle que j’ai lu Requiem pour une apache (2020) et Le soldat désaccordé (2022, coup de cœur).

Si vous n’avez jamais lu cet auteur, allez-y les yeux fermés 😉 😛

Le soldat désaccordé de Gilles Marchand

Le soldat désaccordé de Gilles Marchand.

Aux Forges de Vulcain, collection Fiction, août 2022, 208 pages, 18 €, ISBN 978-2-373-05648-8.

Genres : littérature française, roman, Histoire.

Gilles Marchand, je vous remets ce que j’avais écrit sur Requiem pour une apache : il naît en 1976 à Bordeaux. Il est musicien, auteur et éditeur. Depuis 2010, il publie des nouvelles aux éditions Antidata. Ses précédents titres aux Forges de Vulcain : deux romans, Une bouche sans personne (2016), Un funambule sur le sable (2017) et un recueil de nouvelles, Des mirages plein les poches (2018).

Alors que j’ai vu récemment la très belle série télévisée, historique et dramatique, Les Combattantes, sur le rôle des femmes durant la Première guerre mondiale, je m’apprête maintenant à lire Le soldat désaccordé.

« Je n’étais pas parti la fleur au fusil. Je ne connais d’ailleurs personne qui l’ait vécu ainsi. L’image était certes jolie, mais elle ne reflétait pas la réalité. On n’imaginait pas que le conflit allait s’éterniser, évidemment. Personne ne pouvait le prévoir. On croyait passer l’été sous les drapeaux et revenir pour l’Automne avec l’Alsace et la Lorraine en bandoulière. De retour pour les moissons, les vendanges ou de nouveaux tours de vis à l’usine. Pour tout dire, ça emmerdait pas mal de monde cette histoire. On avait mieux à faire qu’aller taper sur nos voisins. Pourtant, on savait que ça viendrait : on nous avait bien préparés à cette idée. À force de nous raconter qu’ils étaient nos ennemis, on avait fini par le croire. Alors, quand ils sont passés par le Luxembourg et la Belgique, il n’y avait pas grand monde pour leur trouver des circonstances atténuantes. On était nombreux à être volontaires pour leur expliquer que ça ne se faisait pas trop d’aller envahir des pays neutres. […]. » Voici comment débute ce roman, page 9, et je trouve ces phrases très fortes bien que je n’aime pas le mélange du ‘on’ et du ‘nous’, c’est soit l’un soit l’autre mais je vais m’y habituer parce que j’ai très envie de lire ce roman !

Et, à la fin de la guerre, en 1918 « Les morts officiels, les disparus, les estropiés… » (p. 10), sans oublier les fusillés, combien sont-ils en vrai ?

Le narrateur, ayant « perdu une main dès l’automne 1914 » (p. 10), ne participe plus au combat mais, malgré le fait qu’il soit fiancé à Anna, il veut continuer à aider, « je pensais que j’étais indispensable » (p. 10), alors il approvisionne, il transporte (il peut conduire des camions grâce à une prothèse) dans toute la France jusqu’en 1918. Lorsqu’après guerre, il rencontre Blanche Maupas qui veut prouver que son mari a été « fusillé à tort » (p. 11), il apprend tout d’elle : « la méthode, l’abnégation, le sens du détail, les réseaux, l’importance de l’opinion publique, les démarches judiciaires. » (p. 11). Pendant des années il travaille « pour des associations ou différents comités œuvrant à la réhabilitation des fusillés pour l’exemple. Et je parcourais le pays afin de permettre à une famille de retrouver la dépouille d’un soldat qui n’était pas revenu. » (p. 11-12). Voilà la vie et le travail d’enquêteur de cet ancien soldat qui va redonner espoir, des informations et si possible des corps aux familles alors que le lecteur ne sait même pas son nom ! Et il est plus habitué aux « villes détruites aux clochers défoncés, les villages éventrés, les anciens hôpitaux et les asiles de campagne » (p. 15) qu’au restaurant parisien où le convie une nouvelle cliente, Jeanne Joplain, qui veut retrouver son fils Émile, disparu à Verdun en 1916 (le nombre officiel de disparus est de deux cent cinquante mille, p. 20). « Je ne pus réprimer un violent élan de désespoir. Des mères et des femmes de poilus persuadées que leur soldat était toujours vivant quelque par, j’en avais rencontré beaucoup. […] Mais retrouver un poilu vivant, cela ne m’était jamais arrivé. » (p. 18). Pourtant, c’est possible car il y avait de nombreux amnésiques, « Ça représentait un stock de tendresse laissé à l’abandon, et pour lequel on était prêt à se battre. » (p. 21). De rencontre en rencontre, l’enquêteur est le récipiendaire de « toutes les histoires qu’ils n’en pouvaient plus de garder pour eux. Tout ce qui venait hanter leurs nuits et qu’ils désiraient épargner à leur famille. » (p. 25). À travers cet enquêteur, l’auteur donne la parole aux soldats rescapés des tranchées.

Et lorsque les Français font la fête, comme en 1925, «  Ça swinguait, ça jazzait, ça cinématographiait, ça électroménageait, ça mistinguait. L’Art déco flamboyait, Paris s’amusait et s’insouciait. Coco Chanélait, André Bretonnait, Maurice Chevaliait. » (p 53), bien vu les jeux de mots, beaucoup ne parviennent pas à s’« abandonner à cette insouciance. […] On avait beau faire semblant, on avait traversé l’enfer. » (p. 53). Et puis, Verdun… « Dans le ciel, c’était le feu. Le feu et les cendres. Sur la terre, c’était les secousses et les tremblements. L’antichambre de l’enfer. » (p. 61).

Pas facile de remonter la piste, entre les légendes comme celle de la Fille de la Lune, les délires de ceux qui ont perdu la tête mais l’enquêteur n’abandonne pas !

Estomaquée après cette lecture, je me demande encore comment un livre si magnifique peut raconter autant d’horreurs (réelles) mais «  Ça sert à ça, les histoires, à rendre la vie meilleure. » (p. 111) et « J’ai compris que, même après la mort, il restait de l’amour. On ne sait pas quoi en faire, mais ça vaut le coup de se battre et de le nourrir. » (p. 138). Un très beau roman sur un thème, différent de la guerre en elle-même et des gueules cassées, peu abordé en littérature que je vous conseille fortement.

Pour ABC illimité (lettre G pour prénom), Bingo littéraire d’Hylyirio (case n° 11, une couverture bleue), Challenge littéraire 2023 (catégorie 11, le livre préféré d’un proche) et Les départements en lecture (Gironde, 2e billet).

La Source au bout du monde (tome 1) de William Morris

La Source au bout du monde (tome 1) de William Morris.

Aux Forges de Vulcain, novembre 2016, 400 pages, 28 €, ISBN 978-2-37305-016-5. The Well at the World’s End (1896) est traduit de l’anglais par Maxime Shelledy et Souad Degachi. Je l’ai lu en poche : Libretto, octobre 2017, 464 pages, 11,30 €, ISBN 978-2-36914-378-9.

Genres : littérature anglaise, fantasy, classique.

William Morris naît le 24 mars 1834 à Walthamstow dans l’Essex (Angleterre). Dès l’enfance, il aime les merveilles, la forêt, les histoires de chevaliers, les Waverley Novels de Walter Scott et même Les mille et une nuits. Il étudie la théologie à Oxford puis l’architecture et la peinture. Il épouse Jane Burden (je le signale car Jane et William sont parmi les personnages d’Arcadia de Fabrice Colin) et le couple a deux filles, Alice (Jenny) et Mary (May). Fabricant et designer textile, imprimeur et éditeur avec Kelmscott Press (sa maison d’éditions fondée en 1891) qui a édité les œuvres de Geoffrey Chaucer dont la plus célèbre est Les Contes de Canterbury (XIVe siècle), architecte, peintre et dessinateur, romancier, poète, traducteur (de textes anciens de l’Antiquité et du Moyen-Âge), essayiste (essais sur l’Art et sur le socialisme) et conférencier, ce touche à tout membre de la Confrérie préraphaélite est un socialiste utopiste et libertaire. Du même auteur : News from Nowhere soit Nouvelles de nulle part, une utopie (1890). Il est considéré comme le père de la Fantasy et La Source du bout du monde a inspiré, entre autres, C.S. Lewis (Les chroniques de Narnia) et J.R.R. Tolkien (Bilbo le Hobbit, Le seigneur des anneaux…). Retrouvez William Morris sur The William Morris Society (Angleterre) et The William Morris Society (États-Unis) et ses œuvres en ligne sur Wikisource.

« Il y avait jadis une petite contrée sur laquelle régnait un petit souverain, un roitelet que l’on appelait le roi Pierre même si son royaume n’était pas bien grand. Il avait quatre fils nommés Blaise, Hugues, Grégoire et Rodolphe. Ce dernier était le benjamin, âgé de vingt et un hivers, et Blaise, qui en avait vécu trente, était l’aîné. » (p. 11). Voici comment débute ce roman et j’aime beaucoup le ton.

Le domaine s’appelle les Haults-Prés – en anglais Upmeads – (champs, bois, ruisseaux et petites collines) mais il est petit et les fils rêvent de voyages et d’aventures. Rodolphe (en anglais Ralph) – alors que ses frères sont partis, l’un au nord, l’un à l’est, l’un à l’ouest, chacun sur son cheval et accompagné d’un écuyer – a dû rentrer au château avec son père… Tôt le lendemain matin, il s’enfuit avec « son armure, sa lance et son épée [et] son destrier, un beau et robuste cheval gris pommelé nommé Faucon. » (p. 21). Il va à « Bourg-la-Leyne, au-delà de laquelle s’étendait, vers le sud, un monde dont Rodolphe ignorait presque tout, et qui lui semblait un endroit fabuleux, regorgeant de merveilles et d’aventures extraordinaires. » (p. 22). C’est là qu’il entend parler de la Source au bout du monde, une eau magique aux propriétés miraculeuses.

Dans ce monde imaginaire, inspiré du Moyen-Âge, Rodolphe devient un chevalier errant. Tout le monde lui parle de dangers mais pour l’instant les rencontres sont plutôt agréables voire charmantes et bienveillantes. Y aurait-il anguille sous roche ? C’est alors qu’il croise des hommes en armes et certains sont manifestement hostiles. En tout cas, partout où Rodolphe va, il observe, il questionne, il en voit et en entend des vertes et des pas mûres (guerres, bûchers, esclaves…). « Il lui sembla que le monde était pire que ce à quoi il s’attendait. » (p. 110). Mais lorsqu’il entend parler de la dame d’Abondance, il en tombe amoureux sans l’avoir jamais vue et ne pense qu’à une chose, qu’elle vienne vers lui. « Elle me racontera tout lorsque je la verrai. Je n’ai pour l’heure à réfléchir qu’à la façon dont je la retrouverai et ferai en sorte qu’elle m’aime. Elle m’indiquera ensuite le chemin menant à la Source au bout du monde, dont je boirai l’eau afin de ne jamais vieillir et d’obtenir, comme elle, la jeunesse éternelle. Nous pourrons alors nous aimer pour toujours et à jamais. » (p. 159). Quel jeune homme rêveur ! Et peut-être même naïf ? « […] le regard amoureux de Rodolphe, qui la bénit et manqua verser des larmes de bonheur. » (p. 203).

Ce que raconte la jeune femme surnommée la dame d’Abondance à Rodolphe ressemble à un conte. Cependant, au lieu d’une princesse ou d’une bergère, le lecteur a ici un jeune fils de roi, instruit comme l’était les jeunes hommes de son époque mais immature, en quête d’aventure et d’amour (je dirais même en quête d’absolu). « M’est avis, messire, répondit Richard, que cette femme qui mourut assassinée ne descendait pas seulement de la race d’Adam, mais qu’il y avait en son sang quelque brassage avec celui des fées. Qu’en dites-vous ? » (p. 308-309).

J’en dis que ce roman n’est pas facile à lire car la police de caractère est toute petite ! Toutefois, il est vraiment agréable de se plonger dans sa lecture et dans ses merveilles et j’ai hâte de lire le deuxième tome pour la suite des aventures de Rodolphe !

La Source au bout du monde est ici traduit intégralement pour la première fois en français. Une traduction partielle avait été effectuée par Maxime Shelledy et Le Puits au bout du monde était paru Aux Forges de Vulcain en deux tomes, La Route vers l’amour en 2012 et La Route des dangers en 2013 (c’est-à-dire les deux premières parties sur quatre). Ensuite La Source au bout du monde a été traduit à nouveau par Maxime Shelledy et Souad Degachi et est paru Aux Forges de Vulcain en 2016 avec des illustrations et des lettrines (il y a aussi de petites lettrines dans l’édition Libretto que j’ai lue).

Je mets cette lecture dans les challenges Animaux du monde #3 (il y a beaucoup de chevaux, que serait un chevalier sans son cheval ?), Cette année, je (re)lis des classiques #3, Challenge du confinement (case Fantasy), Les classiques c’est fantastique (en décembre, des contes pour les fêtes), Contes et légendes #2 et Littérature de l’imaginaire #8.

 Et n’oubliez pas de visiter Mon avent littéraire 2020 pour le jour n° 21.

Requiem pour une apache de Gilles Marchand

Requiem pour une apache de Gilles Marchand.

Aux forges de Vulcain, août 2020, 414 pages, 20 €, ISBN 978-2-37305-090-5.

Genres : littérature française, roman.

Gilles Marchand naît en 1976 à Bordeaux. Il est musicien, auteur et éditeur. Depuis 2010, il publie des nouvelles aux éditions Antidata. Ses précédents titres aux Forges de Vulcain : deux romans, Une bouche sans personne (2016), Un funambule sur le sable (2017) et un recueil de nouvelles, Des mirages plein les poches (2018).

« Jolene. C’est nous qui avions choisi son surnom. […] Jolene. Un prénom d’ailleurs pour une inconnue venue d’ailleurs. » (p. 13).

Jolene n’a pas d’amis, elle n’a pas aimé ni le collège ni le lycée. Après la mort de son père, peintre de la Tour Eiffel, sa mère vit avec Albert et Jolene est partie, un peu poussée par sa mère… Après avoir galéré, elle devient caissière dans un supermarché et, un soir, elle est entrée dans cet hôtel près de son travail pour boire un coup. C’est là que le narrateur, Wild Elo, un chanteur à succès devenu ringard, l’a rencontrée. « Tous les soirs, elle passait nous voir. Elle n’était plus une habituée, elle était l’une des nôtres. Nous avions même fini par l’appeler Jolene devant elle, ce qui l’avait fait sourire la première fois. » (p. 68).

Il y a une belle brochette de personnages parmi les habitants des 13 chambres de l’hôtel tenu par Jésus et l’auteur exprime beaucoup d’humanité envers eux. « Chanteur ringard, anciens taulards, idiot du village ou bête de foire, nous avions tous franchi depuis longtemps notre point de rupture et nous y étions habitués. Jolene était encore dans l’étape de la colère, cette colère qui nous avait un jour habités. Cette colère que nous avions oubliée […]. » (p. 125).

Que faire de tous ces gens invisibles qui n’existent pour personne ? « Jolene a réussi à créer un nous avec des gens qui n’étaient jamais parvenus à être un je. » (p. 171).

Ce roman se déroule dans les années 70 même s’il semble un peu intemporel. « C’était une période sensationnelle. » (p. 277). Il y a une ambiance spéciale (que je n’arrive pas bien à décrire) et des moments surréalistes comme avec Gérard, le vieux résistant oublié dans le grenier depuis 30 ans !

Mon passage préféré. Un extrait sur Bonnie et Clyde, le couple d’anciens voleurs qui occupaient une chambre. « Ils avaient vécu au milieu des livres, à travers la littérature française, russe et anglaise. Quelques détours par l’Amérique du Sud et l’Italie. Jolene était effarée. Elle commençait à comprendre que nous étions tous égaux face à la littérature, à condition de prendre le risque de s’y perdre. Les livres ne font pas le distinguo entre les grands et les petits, les beaux et les moches. On lui avait fait croire que c’était un art difficile, qu’elle n’avait pas les armes ou qu’elle était trop bête pour lire des livres. On ne lui avait pas laissé le temps d’apprivoiser la littérature. Elle avait passé sa scolarité à craindre les livres comme s’il s’était agi d’un animal vaguement dangereux, ou tout au moins très intimidant. Elle ne s’en sentait pas digne parce qu’elle ne comprenait pas tout. » (p. 361-362).

C’est aujourd’hui que paraît ce beau roman reçu fin juillet et lu durant le week-end du 25-26 juillet. Je remercie les éditions Aux forges de Vulcain parce que j’ai vu de nombreuses fois cet auteur sur des blogs mais je ne l’avais encore jamais lu et ce fut une belle découverte. Il a un style d’une grande richesse, poétique et humaniste, et ses personnages, bien que considérés comme « invisibles », inadaptés à la société, ont une réelle épaisseur et sont attachants.

Un auteur à découvrir et je verrai pour lire ses précédents titres qui m’avaient déjà attirée lorsque je les avais vus sur les blogs.

Pour le challenge 1 % rentrée littéraire 2020.

Tamanoir de Jean-Luc André d’Asciano

Tamanoir de Jean-Luc André d’Asciano.

Aux Forges de Vulcain, mars 2020, 240 pages, 18 €, ISBN 978-2-37305-079-0.

Genres : littérature française, roman policier, fantastique.

Jean-Luc André d’Asciano naît à Lyon en 1968. Il étudie la littérature et la psychanalyse. Il écrit et crée les éditions l’œil d’or fin 1999 (maison d’éditions indépendante et associative). Du même auteur : Cigogne, un recueil de nouvelles (Serge Safran, 2015) et Souviens-toi des monstres, son premier roman (Aux Forges de Vulcain, 2019).

Je remercie les Forges de Vulcain de m’avoir envoyé ce roman que j’ai pu lire une semaine avant sa parution en librairie.

Premier chapitre. Une petite visite matinale au cimetière du Père-Lachaise ? Monsieur Bourdet, qui va partir à la retraite, fait le tour du propriétaire avec son remplaçant, le jeune Pierre. La curiosité de ce coin du cimetière où plus personne ne vient, c’est Monsieur-Doyen, un clochard qui vit dans un caveau depuis 10 ans : il pue, ne parle pas et vit entouré de mouches et de chats ! Mais, ce jour-là, deux tueurs sont bien présents et tuent les trois hommes. Trois ? Eh bien, non, le vieux clochard s’est redressé et s’est enfui avec une chatte.

Deuxième chapitre. Où le lecteur fait la connaissance de Nathanaël Tamanoir à la Tentation de Saint-Antoine, un bar populaire dans lequel il vient boire son café tous les matins. Tamanoir, c’est un surnom que lui avait donné des camarades. « Un animal au long nez, à la silhouette bizarre, mi-effrayante mi-burlesque, et qui marche sur ses poings fermés tant ses griffes sont longues, et non rétractiles. Son portrait tout craché. » (p. 21). Dans le journal, Tamanoir lit : « Deux membres des Anges du sous-sol, association caritative œuvrant au soutien des SDF, retrouvés morts au Père-Lachaise. Une balle dans la nuque pour l’un, une dans la hanche et dans l’œil pour l’autre… Cela ressemble à une exécution du milieu… Aucun témoin… Trente ans de métier… Un tout jeune homme, venant juste de se marier… Aucune piste n’est exclue… Même celle de l’erreur criminelle… » (p. 25).

Troisième chapitre. Tamanoir file au cimetière et rencontre quatre aristos qui se lamentent de la disparition de Papy-chat, donc le clochard, et de sa minette. Il peut voir une photo de Papy-chat. « Maigre. Les yeux tellement enfoncés dans leur cavité que l’on ne distingue pas leur couleur. Des sourcils énormes, noirs. Une barbe jaunâtre, avec des coulures partant de la bouche. Des cheveux longs. Une bouche aux lèvres larges. Un incroyable réseau de rides. Pas de calvitie. Une balafre part du front, passe sur l’œil, descend sur la joue. Une marque distinctive. Le Tamanoir sourit. » (p. 38).

Chapitres suivants. Tamanoir mène l’enquête et entraîne le lecteur dans les rues de Paris mais aussi dans ses sous-sols. Le cimetière du Père-Lachaise et les catacombes donnent un petit côté gothique à ce roman policier. Une « farce policière » nous dit l’éditeur. J’ai souri deux ou trois fois, mais cette « farce » est une véritable enquête menée par un détective pour le moins atypique et attachant.

J’ai beaucoup aimé cette expression : « association à but crapulatif » (p. 84) : bien trouvé !

Un extrait pour vous donner une idée du ton de ce roman (Coventina, l’amie de Tamanoir, a été enlevée et il vient de la retrouver) : « Coventina ! – Dingue ! Même quand on se fait enlever, on subit du Manterrupting… Bon. Les gars-là, ce sont de drôles d’oiseaux. Genre charognards éborgnés, mais ils sentent le militaire en goguette. Bêtes, efficaces, lents, toujours en groupe. Et méchants. Ils puent la mort glauque, le cauchemar cannibale et le goût du mal. Et le légionnaire aussi. – Ils sentent la bière et le sable chaud ? – Ils empestent la basse-cour, façon Babel. Ça babille dans toutes les langues ces poussins-là, mais avec des verbes communs. Comme trucider, génocider, assassiner. Une internationale des méchants, avec quelques Angevins au milieu. – Des Angevins ? – Tu sais pas que le français parfait, c’est celui d’Angers ? Pas une pointe d’accent autour des châteaux ce la Loire, juste du vin, plus ou moins bon. N’empêche, vu comme ils m’ont regardée, ça m’a surprise de m’en tirer à si bon compte. » (p. 135).

Alors, on y va boire un coup au bar la Tentation de Saint-Antoine, rencontrer Tamanoir puis faire la connaissance d’Ishmaël qui lutte contre le mal ? « Bah moi je travaille avec des diables et des êtres d’outre-monde. Des fois, j’ai besoin d’eau bénite. D’où les pistolets en plastique. Cela fait un peu comme des lance-flammes, tu vois ? » (p. 170-171).

Tamanoir est une belle découverte, un roman policier hors-norme, parfois drôle, parfois dramatique, avec une pointe de fantastique (Ishmaël et sa chatte, zut j’ai oublié de noter son nom, seraient… immortels !).

Pour les challenges Lire en thème (en mars, un animal sur la couverture) avec les chats du cimetière, Littérature de l’imaginaire #8 (pour le côté gothique et fantastique), Petit Bac 2020 (catégorie Animal avec Tamanoir) et Polar et thriller 2019-2020.

L’incivilité des fantômes de Rivers Solomon

L’incivilité des fantômes de Rivers Solomon.

Aux Forges de Vulcain, septembre 2019, 400 pages, 20 €, ISBN 978-2-373-05056-1. An Unkindness of Ghosts (2017) est traduit de l’américain par Francis Guévremont.

Genres : littérature états-unienne, science-fiction, premier roman.

Rivers Solomon naît en 1989 en Californie ; elle étudie à l’université de Stanford. Elle vit en Grande-Bretagne. Elle se considère comme non-binaire (en anglais, elle utilise le pronom « they » qui peut signifier « iels », à la fois masculin et féminin, ou neutre). Son deuxième roman, The Deep, est paru aux États-Unis en 2019 ; il traite de l’afrofuturisme, genre de prédilection de l’autrice. Plus d’infos sur son site officiel, https://www.riverssolomon.com/ .

À bord du Matilda, Aster soigne les passagers du mieux qu’elle peut mais elle fait partie d’un pont inférieur sur lequel il n’y a plus de chauffage et peu d’électricité. Sur ces ponts inférieurs, vivent ceux qui sont surnommés les Bas-Pontiens ou les Goudrons, c’est-à-dire les personnes noires.

« On s’en fout de ce qu’on désire, parce que sur ce putain de vaisseau, rien de marche, rien ne fonctionne. […] Ça fait trois cents ans, depuis le jour où notre vieille planète est devenue invivable, ça fait trois cents ans que ça ne sert à rien de former des souhaits. Quand on traverse l’espace entre les étoiles, il ne faut s’attendre à rien de bon. » (p. 14).

Le Matilda est gouverné de façon totalitaire par le Souverain Nicolaée mais Aster, électron libre, avec l’aide de son amie Giselle et du médecin général Théo qui l’autorise à accéder à certains ponts supérieurs, part sur les traces de sa mère disparue : elle était mécanicienne principale et avait découvert quelque chose mais pourquoi n’a-t-elle pas été plus explicite dans les carnets qu’elle a laissés ?

« Nicolaée était mort, Lieutenant prendrait sa place sur le trône […] ! » (p. 138). Un dictateur en remplace un autre…

« Détruire une personne, passe encore, mais détruire tout ce que cette personne avait fait au cours de sa vie, cela était un sacrilège. Après sa mort, il ne restait plus rien d’une personne, sinon ces papiers, ces traces écrites qu’elle nous a laissées, dans les annales, dans les almanachs. Il ne restait plus rien que ces objets physiques qu’elle a produits. Détruire tout cela, c’était détruire son histoire, son présent, son futur. » (p. 367).

L’incivilité des fantômes n’est pas un roman facile. « Un premier roman qui prend pour prétexte la science-fiction pour inventer un microcosme de l’Amérique, et de tous les maux qui la hantent, tels des fantômes. » nous dit l’éditeur et c’est peut-être ça qui m’a dérangée : j’aurais voulu un vrai roman de science-fiction, pas un prétexte pour dénoncer les fantômes de l’Amérique… (les problèmes entre les Noirs et les Blancs). J’ai l’impression que je l’ai lu sans déplaisir mais sans réel plaisir non plus, quoique la chute est étonnante. Je trouve que les Hauts-Pontiens (Blancs, riches et instruits) et les Bas-Pontiens (Noirs, pauvres et survivant grâce à des contes et des légendes de l’ancienne Terre abandonnée) sont clichés comme pas possible ! Mais peut-être suis-je passée à côté d’un grand roman ?…

Pour les challenges 1 % Rentrée littéraire 2019 et Littérature de l’imaginaire #7.

À crier dans les ruines d’Alexandra Koszelyk

À crier dans les ruines d’Alexandra Koszelyk.

Aux Forges de Vulcain, août 2019, 254 pages, 19 €, ISBN 978-2-373-05066-0.

Genres : littérature française, premier roman.

Alexandra Koszelyk naît en 1976 en Normandie. Elle est professeure de français, de latin et de grec ancien en région parisienne. À crier dans les ruines est son premier roman (une nouvelle romancière à suivre !).

Après des années Léna, 33 ans, retourne à Kiev. « Quand Léna arrive à Kiev, elle ne s’attend à rien ou plutôt à tout. Des odeurs de son enfance, la musique de sa langue natale, les dernières images avant son exil. » (p. 9, premières phrases du roman). C’est que Léna vit en France, près de Cherbourg. « Pour vous rendre dans la ville fantôme de Pripiat, vous prendrez notre bus. Il y a un seul aller-retour par jour. Quand vous serez dans la zone contaminée, vous ne resterez jamais seule. Vous suivrez la guide et resterez avec le groupe. » (p. 10). Tarif : 500 $, c’est cher pour du tourisme qui va la contaminer ! Arrivée sur place, « Un hoquet sort de la bouche de Léna. Sa terre est devenue une simple attraction touristique. Sa ville natale est un cimetière dont le sol subit chaque jour les semelles des touristes. Ils écrasent une terre irradiée, calcinée par le feu. » (p. 15). Mais Léna n’est pas là pour faire du tourisme, elle veut revoir son ami d’enfance. « Et Ivan, qu’est-il devenu ? » (p. 20).

Léna naît en 1973, ses parents, Dimitri et Natalia, sont des scientifiques qui travaillent à la Centrale Lénine. Ses grands-parents s’occupent d’elle et elle a 3 ans lorsqu’elle rencontre un garçon du même âge qu’elle au parc, Ivan. Ivan aime la nature, les plantes, les animaux, le dessin. Ils sont heureux et insouciants.

Nuit du 25 au 26 avril 1996. « L’alarme s’enclenche […]. Le réacteur perd pied, […], il ne tient plus et explose la dalle de béton qui l’entoure. Un feu d’artifice de 1200 tonnes. Le fracas est assourdissant. Les lumières clignotent. La catastrophe a eu lieu. On court, on tourne, on hurle. […] » (p. 42). Ce qui s’est passé cette nuit est très bien expliqué mais pas avec des termes techniques incompréhensibles, de façon à ce que les lecteurs comprennent facilement. Le lendemain, la famille part pour Kiev, Zenka la grand-mère, les parents et Léna, 13 ans. Ivan pédale comme un fou à côté du bus. « Léna riait aux éclats. Bientôt, dans un mois au plus, elle rentrerait de France et partagerait avec lui ce souvenir : là-bas, à Pripiat, dans leur cabane du parc. » (p. 55). Mais l’exil dure depuis plus de vingt ans et Léna n’a aucune nouvelle d’Ivan. Le père ne veut plus entendre parler de l’Ukraine, du passé, il n’explique rien à Léna qui doit subir l’exil, la solitude, la souffrance.

Léna est au collège à Vauville, en Normandie mais elle ne se fait pas d’amis à part la bibliothécaire, madame Petitpas. « Les guerres éloignent les peuples, les légendes les rassemblent. Il existait aussi une mademoiselle de Gruchy dans les steppes ukrainiennes, même si elle ne portait pas le même nom. Deux régions du globe bien distinctes, mais une seule âme de conteur. » (Zenka, p. 103). « Le pays de Caux, avec ses marécages, regorgeait de légendes cruelles. Ses légendes permirent à Léna de s’approprier son nouveau pays. » (p. 103-104). À la rentrée suivante, au lycée à Cherbourg, Léna découvre les légendes celtes et gauloises avec Armelle, une exilée franco-écossaise. « […] elle entendait enfin, grâce à Armelle, des chœurs ancestraux. Ils la portaient vers de nouvelles rives inconnues qu’elle semblait connaître par cœur. Cette amitié l’ouvrit au monde. » (p. 115). « Le passé était un pays étranger qui ne la quittait jamais. » (p. 133).

Janvier 1993, à Slavoutytch (ville moderne construite à une cinquantaine de km de Pripiat). « Voilà, j’ai vingt ans, et je ne sais toujours pas pourquoi je continue de faire semblant ni pourquoi je t’écris cette lettre que tu ne liras jamais. » (lettre d’Ivan, p. 142).

Bien sûr, à la télévision, Léna entend les informations et voit des documentaires sur Tchernobyl mais « Elle ne reconnaissait plus rien, les alentours de Tchernobyl étaient en ruine […]. Il est des silences remplis d’autres silences. » (p. 149).

« Léna, l’Ukraine t’appelle inlassablement. Tu y es attachée. Ne lutte pas contre toi-même. Souvent nous sommes notre meilleur ennemi ; crois-moi, je suis bien placée pour le savoir. Il serait temps de t’écouter. […] Il est temps d’écrire à Ivan de remettre en cause les paroles de ton père. Personne ne sait s’il est mort ou en vie. » (Armelle, p. 176).

Ce beau roman, vraiment bien maîtrisé pour un premier roman, parle d’écologie, de démesure de l’humain qui veut dompter la nature, de la science et de la technique qui sont « la réponse à tout » (p. 137) pour les soviétiques (mais s’il n’y avait que pour eux… !). Il traite aussi de la famille, des relations parfois compliquées entre les êtres, de l’exil, des souvenirs et des non-dits, de la nostalgie, de l’espoir et de l’amour d’une très belle façon.

À crier dans les ruines est le premier roman de la Rentrée littéraire d’automne 2019 que je lis et c’est un coup de cœur. Il est déjà finaliste dans le Prix Stanislas et sélectionné pour le prix Jeunes Talents 2019 des librairies Cultura : j’espère qu’il recevra un ou plusieurs prix littéraires car il le mérite !

Une très belle lecture pour 1 % Rentrée littéraire 2019 que je mets dans Lire sous la contrainte (session 45 avec le mot ruines).