L’Autre Paris d’Ivar Lo-Johansson

L’Autre Paris d’Ivar Lo-Johansson.

Ginkgo, collection L’élan, octobre 2016, 88 pages, 10 €, ISBN 978-2-84679-268-4. Okänt Paris (c’est-à-dire Paris inconnu, 1954) est traduit du suédois par Philippe Bouquet.

Genres : littérature suédoise, récit de voyage, récit social.

Ivar Lo-Johansson naît le 23 février 1901 à Ösmo (sud-est de Stockholm) en Suède. Son premier livre est Vagabondliv i Frankrike (Une vie de vagabond en France) paru en 1927. Il écrit sur les Statares (système créé au XVIIIe siècle qui permettait aux patrons de payer les ouvriers agricoles en nature, c’est-à-dire avec le gîte et le couvert mais de qualité médiocre, système aboli en 1945), sur le sport, l’analphabétisme, la prostitution, entre autres. Il est écrivain et journaliste, romancier, nouvelliste et poète, il fait partie du mouvement de la littérature prolétarienne. Il meurt le 11 avril 1990 à Stockholm et il est enterré au Skogskyrkogården (Cimetière boisé de Stockholm, un peu un Père-Lachaise suédois). Il existe un site officiel et un musée consacrés à Ivar Lo-Johansson (site en suédois mais un accès à sa bibliographie).

Le traducteur, Philippe Bouquet, rédige la préface du livre. Le 26 août 1969, alors assistant de faculté, il met « pour la première fois les pieds à Stockholm » (p. 7) et il est accueilli par un écrivain suédois qui lui offre son livre, dédicacé, Okänd Paris, « C’était la première fois qu’un écrivain me remettait personnellement une de ces œuvres, celui-ci était un étranger et son livre portait sur mon pays, sa capitale, ses lieux et habitants les plus obscurs. » (p. 8), l’accent étant mis « sur le côté ‘ombre’ de la Ville-Lumière. » (p. 10). Malheureusement, ce livre est « amputé des dizaines de photos qui en font partie intégrante car c’est en compagnie du photographe Tore Johnson qu’Ivar Lo-Johansson a effectué ce reportage […]. » (p. 8).

Aux début des années 1920, Ivar Lo-Johansson vient en France pour la première fois, il y vit dans la misère, dans la rue (comme George Orwell quelques années plus tard, en 1928-1929, qui témoigne avec Dans la dèche à Paris et à Londres, paru en 1933) et il publie Vagabondage en France (ou Une vie de vagabond en France) en 1927 en Suède (inédit en français). S’il revient à Paris, 25 ans après, « c’est pour y observer de près le monde de la pauvreté : les mendiants, les prostituées, les vieux dans leurs asiles et les miséreux dans leurs refuges. » (p. 18).

Comme je souhaite présenter ce livre dans Les classiques c’est fantastique avec le thème de juin C’est dans l’art, je souhaite préciser qu’à travers les miséreux qu’il rencontre, l’auteur a à cœur de parler de l’Art et de l’évolution architecturale de Paris. Par exemple, il va sous les ponts en bord en Seine, et il dit que « Dans le Louvre voisin, les riches touristes américains (et suédois) admirent les mendiants qui figurent sur les tableaux de Rembrandt. Mais ceux qui couchent sous les ponts de Seine, ils ne leur jettent même pas un regard, car ils ne sont pas célèbres. » (p. 11). Les clochards ou cloches ont pourtant une belle vue sur la cathédrale Notre-Dame. Souvent leurs nuits se passent à la belle étoile car les bouches de métro et les églises sont fermées. Certains n’étaient pas des clochards mais des chiffonniers mais « Lorsqu’il y aura des vide-ordures partout à Paris, ce sera la fin des chiffonniers. » (p. 27).

En ce qui concerne les « hospices et […] asiles d’indigents et de vieillards » (p. 31) gérés par l’Assistance publique (il y en a 28 à Paris et très peu en province), beaucoup sont d’anciens châteaux avec parc et jardins, des vieilles pierres, mais sans aucune modernité… Et pour les prostituées, ce n’est pas mieux, les bordels ayant fermés, elles se retrouvent sur le trottoir à la merci des maquereaux, des mauvais clients et des maladies vénériennes…

L’auteur parle aussi des Halles, haut-lieu parisien (créé au début du XIIe siècle) dont aucun auteur n’a parlé depuis Zola… et il n’est pas tendre. « Paris a énormément grandi. Les Halles ont suivi le mouvement mais, malgré leur énormité, ce n’est jamais qu’un marché comme un autre et pas des plus modernes. Le ventre de Paris a tellement grandi qu’il est devenu informe et alourdit le corps, déjà colossal, de la ville, entraînant des problèmes de digestion. Les Halles sont mal organisées, peu hygiéniques et constituent une absurdité du point de vue de la circulation. » (p. 51), j’imagine que ça a évolué en bien, j’espère ! D’ailleurs les Halles avaient un peintre attitré, Narcisse Belle (1900-1967, qui était boucher charcutier aux Halles).

Il y a aussi de nombreuses affiches partout dans Paris, bien sûr beaucoup sont artistiques mais l’auteur est stupéfait par celles qui dénoncent l’alcool (il y a pourtant 15400 cafés et bars à Paris, la France est le premier producteur d’alcool au monde et le plus grand consommateur mais l’alcool est considéré comme ‘un criminel en liberté’, cf p. 57), bref on est loin des affiches du Chat noir (cabaret de Montmartre).

Je ne connaissais pas le cimetière des chiens sur une des îles de la Seine. « Il a été fondé par la poétesse Marguerite Durand. C’est l’un des cimetières les plus riches du monde. Trente-cinq mille animaux y sont enterrés, surtout des chiens, mais également des chats, des oiseaux et un lion. » (p. 63). Imaginez des « cyprès et palmiers […] fontaines en forme de têtes de chien […] monuments de marbre […]. » (p. 63), « les photographies et les sculptures […] mausolées […]. » (p. 64). Vous pouvez voir des photos sur le site de la mairie d’Asnière sur Seine ici et ici.

Et puis, bien sûr, il y a le Paris des artistes, Montparnasse d’abord, Saint Germain des Prés ensuite, c’est que les artistes désargentés doivent bouger lorsque le quartier devient trop cher pour qu’ils puissent continuer d’y vivre (on ne parlait pas à l’époque des bobos mais c’était déjà ce phénomène). « Ce sont les villes désertes de l’art, à Paris. C’est cela, la sociologie de l’art. » (p. 69). Mais les artistes peintres, génies ou idiots, vivent dans les même conditions que leurs prédécesseurs (l’auteur cite Gauguin et Renoir), « Ceux qui meurent ainsi de faim et grelottent de froid dans leur mansarde constatent que cela peut arriver. Pourquoi donc n’en irait-il pas de même pour eux ? Le présent est misérable, mais le rêve est riche. » (p. 73).

L’auteur conclut en disant qu’il existe un autre Paris « nettement plus beau, celui de l’art, de l’intelligence, de la belle architecture et des boutiques de luxe. Mais ce n’est pas pour cela que je suis venu ici. Si je choisis le Paris inconnu et le revers de la médaille, ce n’est pas parce que j’ignore la beauté. » (p. 76).

Allez, le Paris des années 50, on y va, boire un café en terrasse ou un verre de vin (blanc le matin, rouge le soir), enfin si on en a les moyens !

Ce petit livre est beau, intelligent, ou quand un Suédois apprend des choses aux Français sur la France, une France qu’ils n’ont pas connue, une France d’après-guerre (années 50) souvent idéalisée mais l’auteur rencontre et raconte le réel. Il est vraiment dommage que les photographies de Tore Johnson (1928-1980) n’aient pas pu être insérées dans ce livre (évidemment ça aurait eu un coût) mais il est possible d’en voir sur internet, en particulier sur Tore Johnson – Bilder från Paris du Nordiska Museet ou sur Tumblr entre autres (d’après ce que j’ai vu, elles sont toutes en noir et blanc).

D’autres titres d’Ivar Lo-Johansson traduits en français : La tombe du bœuf et autres récits (Actes Sud, 1982) et Histoires d’un cheval et autres récits (Actes Sud, 1986), quelqu’un les a lus ?

Je tiens à dire que Ginkgo m’avait envoyé ce livre en 2016 mais que je n’avais pas pu le lire pour des raisons personnelles (séparation, déménagement, problème de santé) et pratiques (en fait il était dans un des 10 cartons de livres non déballés à ce moment-là et je ne l’ai retrouvé que récemment). Merci pour cette belle lecture même si elle arrive 5 ans et demi après !

En plus du challenge Les classiques c’est fantastique avec le thème de juin C’est dans l’art, je mets cette lecture dans 2022 en classiques, Challenge de l’été – Tour du monde, Challenge lecture 2022 (catégorie 17, un livre publié après le décès de l’auteur, auteur mort en 1990 et livre publié en France en 2016), Petit Bac 2022 (catégorie Lieu pour Paris), Shiny Summer Challenge 2022 (menu 4 – Chaud et ardent, sous menu La flamme intérieure = essai, documentaire et enrichissement personnel, ce récit de voyage est un essai littéraire et documentaire sur le Paris des années 50), Les textes courts, Tour du monde en 80 livres (même s’il parle de Paris, l’auteur est Suédois et c’est sa nationalité qui compte pour ce challenge), Un genre par mois (le thème de juin est la non fiction, biographie, voyage…) et le Challenge nordique (Suède).

20 réflexions sur “L’Autre Paris d’Ivar Lo-Johansson

    • Dommage qu’il n’y ait pas les photos (mais j’en ai vu quelques-unes sur internet) ; cette réalité date de la première moitié des années 50, Paris a sûrement beaucoup changé depuis même si je suis bien consciente qu’il y a toujours de la misère… Et chaque fois que j’y suis allée (3 fois seulement), j’ai trouvé que c’était sale… et je ne me sentais pas à l’aise en particulier dans le métro (ce qui ne m’est jamais arrivé au Japon même en pleine nuit). Tu veux que je te l’envoie ? Il y a un tarif spécial pour les livres et les brochures https://www.laposte.fr/tarifs-livres-brochures et ça coûte moins cher d’envoyer à l’étranger qu’en France 😉

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  1. Ce livre m’apparaît bien riche pour découvrir Paris. Je ne savais pas qu’il y avait un cimetière de chiens! Je ne connaissais pas cet auteur alors merci pour la présentation en début d’article.

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  2. nathaliesci dit :

    Je ne connaissais pas non plus ce cimetière des chiens ! Paris, j’y suis née et j’y ai habité quelques années. C’est une belle ville, mais comme toutes les grandes villes du monde il y a énormément de misère ! Et quand il m’arrive d’y retourner, je trouve que ça sent terriblement mauvais !! Et la foule de gens qui courent partout me stresse… Mais je lirai volontiers ce livre, je le note dans mon petit carnet !

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    • Je pense que Paris a évolué depuis le début des années 50 mais qu’il y a toujours de la misère et des endroits qui craignent… Je n’y suis pas allée souvent mais j’ai aussi trouvé que c’était sale et malodorant, et pas vraiment sûr… Et tu as raison aussi, tout ce bruit et tous ces gens qui courent, ça fout les jetons… Si tu veux, je te l’envoie ? (s’il y avait eu les photos, je l’aurais gardé en tant que beau livre, mais là comme je l’ai lu et que je sais que je ne le relirai pas).

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  3. Je découvre totalement ce livre et cet auteur ! Ainsi que le cimetière animalier que je note dans ma liste des endroits où aller à Paris. J’adore les cimetières et je ne connaissais même pas celui-là alors que j’ai vécu quelques années à Paris. Merci Pati !

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