Blue Box 1 de Kouji Miura

Blue Box 1 de Kouji Miura.

Delcourt/Tonkam, collection Shônen, mars 2023, 192 pages, 7,29 €, ISBN 978-2-41304-902-9. Ao no hako vol. 1 (2021, Shûeisha) est traduit du japonais par Lilian Lebrun.

Genres : manga, shônen.

Kouji (Kôji) Miura 三浦 糀 naît le 28 mars 1995 à Sendai dans la préfecture de Miyagi. Elle étudie à l’Université d’art de Musashino et commence sa carrière en 2013. Plus d’infos sur son twitter.

Taiki Inomata est en 3e année de collège et il est membre du club de badminton. C’est lui le narrateur. « Chaque matin… je me lève… avec l’espoir d’apercevoir… ». Apercevoir qui ? Chinatsu Kano, 1ère année de lycée, membre du club de basket-ball et déjà championne. Non seulement Taiki va plus qu’apercevoir Chinatsu mais il va se prendre le ballon de basket en pleine tête !

Taiki et Chinatsu sont tous deux au collège-lycée Eimei « très investi sur le plan sportif ». Bon, vous l’avez compris, Taiki est amoureux de Chinatsu, mais son copain de classe et de club de badminton, Kyô Kasahara, le rabroue à chaque fois : il est sûr que Taiki n’a aucune chance ! Et il y a aussi Hina Chôno, en 3e année de collège et membre du club de gymnastique, se douterait-elle de quelque chose ?

Bref, c’est un shônen romance sportif avec des adolescent(e)s et de l’humour, classique mais agréable car les dessins sont beaux. Le 6e tome va paraître en France mais la série en est à 15 tomes au Japon et encore en cours.

Pour La BD de la semaine (plus de BD de la semaine chez Fanny) et Un genre par mois (en juin, BD, manga…).

Au temps du fleuve Amour d’Andreï Makine

Au temps du fleuve Amour d’Andreï Makine.

Folio, octobre 1996, 272 pages, plus au catalogue de cet éditeur depuis 2017, ISBN 978-2-07-040062-X.

Genres : littérature franco-russe, roman.

Andreï Makine (Андрей Ярославович Макин, Andreï Yaroslavovitch Makine) naît le 10 septembre 1957 à Krasnoïarsk en Sibérie. Il apprend le français dès l’âge de 4 ans avec une vieille dame puis durant ses études. Il étudie la littérature française contemporaine à l’université de Kalinine (ou Tver) puis à l’université de Moscou et devient professeur de philologie à l’Institut pédagogique de Novgorod. Il s’installe en France en 1987, demande l’asile politique et est naturalisé Français. Il enseigne, devient écrivain et reçoit de nombreux prix littéraires. Depuis 2016, il est à l’Académie française.

« […] pourquoi l’un de nous avait-il été propulsé sous des blocs de glace, dans la débâcle effrénée d’un grand fleuve qui avait broyé son corps, le rejetant irrémédiablement mutilé ? Tandis que l’autre, moi… Oui, je murmurais le nom de ce fleuve – Amour – en plongeant dans sa sonorité fraîche comme dans un corps féminin rêvé, conçu d’une même matière souple, douce et brumeuse. » (p. 16).

Le narrateur, Dimitri (que ses amis appellent Juan), et Outkine (qui vit maintenant de l’autre côté de l’Atlantique) ont grandi dans un village de Sibérie, près de la taïga et du tumultueux Oleï qui se jette dans le fleuve Amour, avec « l’éternité hivernale » (p. 30) qui recouvrait les isbas de neige, les beaux printemps où la rivière sortait de son lit, et « le soleil déversait l’odeur chaude de la résine de cèdre » (p. 30).

Un jour Outkine trouve une Kharg-racine, comment a-t-il fait, cette plante étant le secret des femmes yakoutes ? Peut-être parce qu’Outkine était estropié, il voyait les choses différemment ? Cette plante semble féminine, « très agréable au toucher […] peau veloutée […] bulbe aux contours sensuels […] mystérieux intérieur […] liquide rouge comme le sang » (p. 31), « beauté inattendue et déroutante » (p. 32).

Juan et Outkine ont un autre ami, Samouraï, un peu plus âgé. « Outkine nous regarda tous des deux avec un visage crispé et s’écria d’une voix fêlée : – Mon oncle a raison quand il dit que l’homme est l’animal le pus cruel sur cette terre ! » (p. 55).

Il y a de la sensualité dans ce roman, un « vertige enivrant » (p. 64), la langueur de la nature, les corps nus (sauna brûlant, neige glacée…), la beauté (réelle ou imaginée) des corps féminins, le désir d’amour, les odeurs… Mais qu’est-ce que la vie, l’amour, la mort pour des ados de 14 et 16 ans ?

Le récit commence en février mais de quelle année ? On sait que c’est à l’époque de Brejnev car il est en couverture des journaux (il y a aussi des cosmonautes). Les trois jeunes hommes vont à Nerloug (la plus grande ville de cette région de Sibérie) pour voir au cinéma L’Octobre rouge un film avec Belmondo, Le Magnifique (sorti en France en 1973) et le parti fête ses 70 ans : l’Union soviétique a été proclamée le 30 décembre 1922 et le Parti communiste de l’Union soviétique en 1925 donc l’année où se déroule Au temps du fleuve Amour est sûrement 1975. Quoique… ça parle du 103e anniversaire de Lénine (p. 159) et il est né le 10 avril 1870, une incohérence ?

« – C’est ça, l’Occident ! Oui, l’Occident était né dans le pétillement du champagne de Crimée, au milieu d’une grande isba noyée dans la neige, après un film français vieux de plusieurs années. C’était l’Occident le plus vrai, car engendré in vitro, oui, dans ce verre à facettes lavé de flots entiers de vodka. Et aussi dans notre imagination vierge. Dans la pureté cristalline de l’air de la taïga. L’Occident était là. […] Nos premiers pas en Occident. » (p. 113). Ce film, ils vont le revoir 17 fois, histoire de s’en imprégner et surtout de tout comprendre parce que des choses occidentales leur échappent bien sûr ! Cette deuxième partie est, en tout cas, une belle déclaration d’amour à Jean-Paul Belmondo !

Avec ses quatre parties différentes et complémentaires (la taïga et le rude hiver, la découverte de l’Occident avec les films de Belmondo et le voyage en train en Extrême-Orient, l’histoire d’Olga et le départ, et New York, les 3e et 4e parties étant bien plus courtes), Au temps du fleuve Amour est un roman d’apprentissage riche, voluptueux, avec une intense âme russe. L’insouciance de l’adolescence, l’immensité et la rudesse de la taïga, la blancheur de la neige – et de tout ce qu’ils ont à découvrir – apportent aux trois jeunes une envie inéluctable d’autre chose, d’aventure, d’ailleurs. Les descriptions des personnages et des paysages sont une grande réussite. Il y a du romantisme, de la nostalgie, un roman typiquement russe bien qu’Andreï Makine soit naturalisé français et écrive en français. D’ailleurs Andreï Makine a-t-il mis un peu de lui, un peu de ses souvenirs et de sa jeunesse dans Dimitri, peut-être même dans un peu de chacun des trois jeunes qui rêvent d’amour et d’Occident ?

Pour le Challenge lecture 2024 (catégorie 45, un livre d’un auteur russe), Lire en thème 2024 (catégorie Hiver), Petit Bac 2024 (catégorie Lieu pour Fleuve Amour), Tour du monde en 80 livres 2024 (Russie) et Un genre par mois (en janvier, littérature contemporaine).

La Colère et l’Envie d’Alice Renard

La Colère et l’Envie d’Alice Renard.

Héloïse d’Ormesson, août 2023, 160 pages, 18 €, ISBN 978-2-35087-896-6.

Genres : littérature française, premier roman.

Alice Renard naît à Paris en 2002. Sa mère est styliste et son père professeur de maths. Elle « est étudiante en littérature médiévale à la Sorbonne. Révélée précoce à l’âge de six ans, la question de la neurodiversité et de l’hypersensibilité l’a toujours passionnée. La Colère et l’Envie est son premier roman. » (l’éditeur) + la Minute Lecture sur le site de l’éditeur. La Colère et l’Envie est sélectionné pour le Prix littéraire Le Monde et le Prix Fémina et reçoit le Prix Méduse 2023 et le Prix littéraire de la vocation 2023.

« mère / Mon poussin, ma toute petite, moi qui t’ai formée au rythme des secrets de mon ventre, je t’ai vue finalement grandir. En dépit de tout. De toutes ces choses incompréhensibles et qui t’étaient contraires.

père / Je n’étais pas fait pour être le père d’une telle enfant. Aujourd’hui, bientôt, d’ici peu, ce ne sera plus tout à fait une enfant. Elle a grandi. Mais moi je ne serai toujours pas fait pour être son père. » (p. 9).

Voici le début du roman : le récit de la mère (Maude) et le récit du père (Camillio). Remarquez le style et la syntaxe différents, et surtout la mère qui dit « tu » à sa fille et le père qui dit « elle » (ne pouvant s’y attacher comme un père le ferait, le devrait ?). Leurs visions et leurs ressentis sont donc totalement différents. La mère est proche de sa fille et, même si elle ne la comprend pas, elle essaie de l’aimer comme elle est et de passer du temps avec elle, elle voit parfois des sourires, de la joie, des pas de danse. Le père est distant, il ne comprend pas sa fille et préfère s’en éloigner, il voit des larmes incompréhensibles, inexplicables, il parle même « d’une forme de débilité » (p. 10).

Isor, 13 ans (au début du roman), est différente depuis sa naissance, elle est mutique mais, lorsqu’elle rencontre le voisin septuagénaire, Lucien, c’est comme si ces deux âmes esseulées se retrouvaient.

La première partie du roman alterne donc entre la mère et le père.

La deuxième partie, racontée par Lucien, est je dirais classique. « Mon Isor, tu ne peux pas savoir comme j’avais peur. Cela faisait une petite éternité que plus personne n’était entré dans ma vie – que je faisais en sorte que plus personne n’y entre. Toi, tu as tout de suite voulu que l’on se rencontre. Ma vieillesse, ma réclusion, ma tristesse, j’ai d’abord cru que tu ne les respectais pas, qu’elles n’étaient rien pour toi, que tu t’en fichais, et que tu agissais avec moi comme avec n’importe qui. Je me trompais. Tu as accepté tout de suite, sans m’en vouloir, sans les questionner, mon chagrin, mes vieux os, ma lenteur et tout le reste. » (p. 61).

La troisième partie est racontée par Isor qui signe I. Puis-je en dire plus ? Je ne pense pas…

La Colère et l’Envie est un roman court mais d’une grande intensité, d’une grande puissance, il est bouleversant et d’utilité publique. Il n’a aucun des défauts des premiers romans et l’autrice n’a que 21 ans ce qui montre une grande maturité humaine et littéraire. C’est pour plusieurs personnes que je connais et pour moi, le premier auteur du XXIe siècle que nous lisons ! Je l’ai lu d’une traite et je me suis pris une claque et un coup de cœur (moi, qui n’apprécie pas vraiment le roman choral) et je sais que je ne suis pas la seule.

C’est pour cette raison que j’ai voulu regarder le film documentaire, Dernières nouvelles du cosmos, réalisé en 2016 par Julie Bertuccelli dont un collègue a parlé. La réalisatrice filme Hélène (née en 1985) et sa maman, Véronique, au quotidien. Et quelle claque aussi ! Un univers totalement différent, un monde énorme, surprenant, cosmique ! Hélène est autiste, elle aime la musique, la nature (avec lesquelles elle est comme en connexion) et elle est poétesse sous le pseudonyme de Babouillec Sp (pour Sans paroles) même si elle arrive à prononcer quelques mots mais le travail est constant. Trois belles personnes, Julie, Véronique et Hélène, et les membres de la troupe (en particulier Pierre Meunier et Marguerite Bordat) qui ont monté le spectacle Forbidden di sporgersi avec les textes de Babouillec, spectacle présenté à Paris et à Avignon, entre autres (infos sur La Belle Meunière). Ci-dessous la bande annonce du film. Et le mot de la fin à Hélène / Babouillec avec cet « extrait de Raison et acte dans la douleur du silence, premier texte de Babouillec » (p. 9 du livret avec le DVD) : « Être ou ne pas être, là est la question. Dire merde à ceux qui croient savoir, là est la réponse. »

Pour Bingo littéraire d’Hylyirio (case n° 23, un livre sur le thème de la santé mentale, je précise que l’autisme n’est pas une maladie mais un trouble neuro-développemental), Challenge lecture 2023 (catégorie 45, un livre dont l’un des personnages est porteur de handicap) et Un genre par mois (en novembre, amour et amitié).

Le château solitaire dans le miroir 1 et 2 de Tomo Taketomi

Le château solitaire dans le miroir 1 de Tomo Taketomi.

Nobi Nobi, collection Genki, mai 2023, 224 pages, 7,20 €, ISBN 978-2-37349-701-4. Kagami no kojô かがみの孤城 (2019) est traduit du japonais par Claire Olivier.

Genres : manga, seinen, fantastique.

Tomo Taketomi 武富 智 est mangaka. Il débute avec Caramela (2001), A Scene et B Scene (2003) et Evil Heart (2006 à 2011). Son site (pas mis à jour).

Kokoro Anzai n’a passé qu’un mois au collège Yukishina et elle n’y était pas du tout à l’aise. Ce matin, elle doit aller à l’institut La classe du cœur, un centre de soutien éducatif pour les collégiens déscolarisés, mais ce n’est pas qu’elle ne veut pas, c’est qu’elle ne peut pas : « refus scolaire », phobie scolaire.

Ses parents étant partis au travail, Kokoro est seule dans sa chambre, en larmes, et lorsque le miroir se met à briller, elle le touche et se retrouve de l’autre côté dans un château mystérieux où elle est accueillie par mademoiselle-loup. « Tu es dans un château ! Dans un univers parallèle fantastique, amusant et palpitant ! […] Ici, tu pourras réaliser un vœu. Un seul ! Mais n’importe lequel ! ».

Il y a sept collégiens dans ce château solitaire et celui ou celle qui trouvera la clé verra son vœu se réaliser. Pour les filles, il y a Aki, Fûka et Kokoro. Pour les garçons, il y a Masamune, Rion, Subaru et Ureshino. Tous sont différents mais ont le même problème avec le collège. Y aura-t-il de la rivalité ou de la complicité voire de l’amitié entre eux ?

Une histoire prenante avec des sujets importants (mal-être de l’adolescence, différences, harcèlement scolaire…) et une pointe de fantastique. Mademoiselle Loup m’intrigue !

Ce manga est l’adaptation d’un roman éponyme de Mizuki Tsujimura 辻村深月 paru en 2017 au Japon et aux éditions Milan en octobre 2022 avec réédition en août 2023 pour la sortie du film d’animation au cinéma. Le film d’animation réalisé par Keiichi Hara du studio A-1 Pictures est sorti au Japon en décembre 2022 (bande annonce ci-dessous) et en France en septembre 2023.

Le château solitaire dans le miroir 2 de Tomo Taketomi.

Nobi Nobi, collection Genki, août 2023, 224 pages, 7,20 €, ISBN 978-2-37349-709-0. Kagami no kojô かがみの孤城 (2019) est traduit du japonais par Claire Olivier.

Le temps a passé, c’est l’été et les vacances. Kokoro n’est retournée ni au collège ni à l’institut. Par contre, elle est très présente au château, enfin selon les règles : il est ouvert de 9 à 17 heures tous les jours. Certains jouent aux jeux vidéo, d’autres boivent le thé en mangeant des gâteaux. Pourquoi chercher une clé, autant passer du bon temps ensemble !

Comme c’est l’anniversaire de Fûka, Kokoro aimerait lui offrir un cadeau mais pour cela, elle va devoir sortir, marcher dans la rue, aller dans un magasin et elle a très peur de croiser d’autres collégiens… « Non ! Je n’ai pas fait tout ce chemin pour rien ! ».

Il y a de bons moments au château, parfois des disputes, mais chacun s’ouvre un peu. Cependant mademoiselle Loup essaie-t-elle de semer la zizanie avec ses nouvelles informations sur la clé ?

Pour La BD de la semaine (plus de BD de la semaine chez Moka) et les challenges ABC illimité (lettre C pour titre), BD, Challenge lecture 2023 (catégorie 55, un livre avec une maison sur la couverture pour le tome 1 et catégorie 30, une BD qui est l’adaptation d’un roman pour le tome 2), Jeunesse & young adult #12, Littérature de l’imaginaire #11 et Petit Bac 2023 (catégorie Objet pour Miroir).

Le goût des garçons de Joy Majdalani

Le goût des garçons de Joy Majdalani.

Grasset, collection Le courage, janvier 2022, 176 pages, 16 €, ISBN 978-2-24682-831-0.

Genres : littérature franco-libanaise, premier roman.

Joy Majdalani naît en 1992 à Beyrouth (Liban). Elle vit à Paris depuis 2010. En 2018, elle publie On the rocks, un texte court, dans la revue Le Courage (apparemment le n° de 2018 est le n° 4). Le goût des garçons est son premier roman. Plus d’infos sur son Instagram.

La première phrase du roman : « Je vous parle de ces filles qui m’ont donné le goût des garçons. » (p. 11). Des filles de bonnes familles qui reçoivent une bonne éducation, qui devront être de bonnes épouses pour l’élite et de bonnes mères.

Beyrouth, Collège Notre-Dame de l’Annonciation. Elles sont en 5e. Soumaya et Ingrid portent l’uniforme du collège mais elles savent mettre en valeur leurs seins, leurs fesses et leurs genoux aussi. Elles sont surnommées les Dangereuses, elles sont considérées comme déviantes, parfois punies mais elles s’en fichent.

La narratrice est parmi les autres filles, les insignifiantes, celles qui ont du mal avec l’âge ingrat et avec leurs poils (sourcils et moustache). Avec ses amies d’enfance, Diane et Bruna, elles pensent à une chose : le premier baiser. « Nous ressassions la marche à suivre jusqu’à la connaître par cœur. Il fallait nous tenir toujours prêtes, agiles, pour saisir l’occasion si elle se présentait à nous, parachutée sur le chemin du collège. » (p. 26).

Bruna devient pour les parents et les sœurs une « mauvaise fréquentation » mais « Jamais, je ne la soupçonnais de mentir. » (p. 29). Pourtant ces jeunes filles qui ne connaissent rien à l’amour et à la sexualité, désirent des choses, parfois même le viol, la brutalité, tout plutôt que la virginité. « Nous en parlions sans honte : nous voulions d’un désir qui fasse perdre le contrôle. Pour instiller en nous la peur des hommes, on nous avait enseigné qu’ils étaient imprévisibles, violents, sauvages. Nous appelions de nos vœux cette bestialité. Nous ne connaissions pas la différence entre l’amour et le rapt. » (p. 44).

Je suis surprise par l’obsession qui en résulte ! J’ai évidemment moi aussi vécu « les tumultes de l’adolescence » (p. 113) mais de façon plus naturelle, plus libre, et à une époque où l’informatique n’était pas démocratisée, où internet et les téléphones portables n’existaient pas. Quelle tristesse de ne vivre que « juste la mécanique » (p. 116)… Mais, peut-être que j’ai bénéficié d’un « accès serein aux grands rites de l’adolescence occidentale » (p. 119) ?

Cette violence, ce sont les filles (de 13 ou 14 ans) elles-mêmes qui se l’infligent, quitte à se faire traiter de pute. « La puberté est une offrande dont nous ne disposons pas selon notre bon vouloir. Le libre arbitre ne se mérite qu’au prix d’une discipline scrupuleuse. Il y a des bonnes et des mauvaises façons d’être une jeune fille. » (p. 141). Voilà, il n’y a pas de bonnes jeunes filles et de mauvaises jeunes filles. « Celles pour qui l’enfance est paisible veulent en prolonger la douceur. » (p. 141) et il y a « les brûleuses d’étapes » (p. 143) mais chacune vit le passage à sa façon et en tire les conséquences pour sa vie, son futur.

Un premier roman sur un thème casse-cou mais la perfection intime et audacieuse, parfois provocante, avec laquelle ce thème est traité font de ce texte un brûlot chargé d’énergie et de lucidité qui annonce de futures femmes douces et fidèles et des femmes plus libres et sulfureuses.

Sur d’autres blogs : Julie à mi mots, Mademoiselle lit, Trouble bibliomane et le questionnaire de Proust à Joy Majdalani sur L’Orient littéraire.

Pour Bingo littéraire d’Hylyirio (n° 16, un livre de moins de 200 pages, 2e billet), Challenge lecture 2022 (catégorie 3, un premier roman), Tour du monde en 80 livres (Liban).

Les lumières de l’Aérotrain de Ducoudray et Corgié

Les lumières de l’Aérotrain de Ducoudray et Corgié.

Grand Angle, juin 2018, 84 pages, 16,90 €, ISBN 978-2-81894-515-5.

Genre : bande dessinée française.

Aurélien Ducoudray naît en 1973 à Châteauroux (Indre). Il est scénariste de bandes dessinées. Du même auteur : Championzé (2010), The Grocery (2011-2016), Amère Russie (2014-2015), Bob Morane Renaissance (2015-2016), L’anniversaire de Kim Jong-Il (2016), Les chiens de Pripyat (2017-2018), entre autres et dernièrement Rendez-vous avec X – L’ affaire Pilecki (2020). Son blog, Boula Matari, pas mis à jour depuis août 2016.

Johann Corgié étudie à l’école Pivaut (Nantes) pour devenir coloriste. Ce qu’il fait pendant 8 ans et une trentaine d’albums avant de devenir dessinateur pour le jeu vidéo. Les lumières de l’Aérotrain est sa première bande dessinée. Bravo ! Portfolio sur son site officiel.

Hervé Commereau et Romuald (Romu) Perrier sont deux ados qui vivent dans une petite ville. Ils s’ennuient et font les 400 coups. Surtout Hervé qui commence à s’intéresser aux filles et qui redouble pour la 3e fois. Romu n’ose pas lui dire qu’il passe en seconde pour ne pas lui gâcher ses vacances d’été. Lui est passionné par les trains (il connaît tous les horaires par cœur) et veut en faire son métier. Ils sont amis avec Mathilde Domenier, une jeune femme, grosse mais bien dans sa peau, caissière à l’hyper-marché. Arrive une nouvelle voisine, Lucie, grande, mince (plutôt taille 34)..

J’aime bien Romu ; deux fois, il y a quelque chose à voir et… « Ah ! J’ai pas mes lunettes ! », hi hi hi !

Cette bande dessinée est une parfaite collaboration entre le scénariste et le dessinateur ; elle est réussie tant au niveau du scénario que du dessin qui accompagne vraiment bien. Les quatre personnages principaux (ils sont sur la couverture) sont agréablement servi par le dessin et leurs caractéristiques. Il y a parfois de l’humour mais c’est plutôt une histoire douce-amère sur l’adolescence, la vie et l’ennui. Mais l’histoire se transforme en drame !

Une excellente BD pour La BD de la semaine, les challenges BD et Jeunesse Young Adult #10. Plus de BD de la semaine chez Moka.

La Californie de Bruno Masi

La Californie de Bruno Masi.

JC Lattès, février 2019, 187 pages, 17 €, ISBN 978-2-7096-6184-3.

Genres : littérature française, roman.

Bruno Masi naît en 1975 à Toulon. Il est journaliste, auteur et responsable pédagogique à l’INA.

4 juillet, Marcus Miope a 13 ans. Il rêve d’aller en Californie (d’où le titre). Il ne supporte pas son frère aîné, Dimitri, (qui est plutôt dégueulasse, fainéant et violent). Annie, sa mère, est fantasque, parfois elle a un copain, souvent elle picole ; elle va… disparaître ! « Aujourd’hui, je sais qu’elle me fixait pour ne pas m’oublier. » (p. 14). Annie est partie depuis plusieurs jours. « Les jours passaient, sa présence s’était diluée, il ne restait que certains gestes ou images que je maintenais gravés dans mon cerveau en fermant les yeux très fort. » (p. 30). En plus, l’été, les vacances, pour Marcus, c’est la solitude et l’ennui, même si Marcus rencontre Penelope, une adolescente norvégienne avec laquelle il vit ses premiers émois. « Juillet et août, c’est deux pansements que l’on tire et qui retiennent nos côtes pour nous empêcher de respirer. » (p. 58). Sinon, il fait des balades à vélo avec son copain, Virgile, ou ils vont voir les voitures passer sur l’autoroute. Marcus est désabusé… « Construire, c’est ça : accumuler les briques factices de notre bonheur. » (p. 111). « Annie était partie. Elle ne reviendrait pas ce soir, ni demain, ni jamais. » (p. 121-122). « Je croyais que le monde était écrit pour moi. Mais je n’étais au final qu’un figurant. » (p. 146).

Je pense que l’histoire se déroule dans la deuxième moitié des années 80 : Marcus écoute au début du roman La fièvre dans le sang d’Alain Chamfort (titre sorti en 1986) et on sait que Laurent Fabius est premier ministre (p. 49) : j’ai vérifié, il l’a été de janvier 1984 à mars 1986. Alors petit problème, si l’histoire se déroule en juillet 1986, Fabius n’est plus premier ministre… Et il y a d’autres anachronismes comme Sex Machine de Crawling Chaos (p. 33) : album sorti en 2003 et « Un énorme soleil rouge […] semblable à un ciel de manga. » (p. 42) : pas sûre que les mangas étaient autant démocratisés dans les années 80 (peut-être l’auteur pense-t-il aux dessins animés ?) et « […] un portefeuille vide (ni carte, ni argent) » (p. 57) : les cartes bancaires existaient déjà, oui, mais elles n’étaient pas courantes (seulement quatre grosses banques les proposaient, je doute que Dimitri en ait possédé une…) et leur utilisation s’est démocratisée dans les années 90 avec l’installation de terminaux de paiement chez les commerçants et le code à quatre chiffres. Un collègue me dit aussi qu’il y a un problème de date avec le fait que Marcus possédait des figurines Star Wars alors qu’il avait 6 ans.

Avec tout ça, j’ai été suspicieuse pendant toute la lecture et j’ai vérifié pas mal de dates ! Ce qui, bien sûr, a gâché mon plaisir de lecture ! Dommage, ce roman avait du potentiel… Il a obtenu le Prix Marcel Pagnol.

Une petite question : y avait-il des MP (militaires américains) (p. 94) en France dans les années 80 ? En Allemagne, oui, mais en France, je n’en ai aucun souvenir…

La faute de grammaire qui tue : « Faîtes ce que vous avez à faire […]. » (p. 65) : mais pourquoi les gens confondent le faîte (sommet) de l’arbre avec le verbe faire ?

Pas sûre que je lise son premier roman Nobody (même s’il se déroule à Tchernobyl) ou son nouveau roman, 8 kilomètres, paru en janvier 2020…

Pour le Petit Bac 2020 (catégorie lieu pour Californie).