Voyage en Iran de Nedim Gürsel

Voyage en Iran – En attendant l’imam caché de Nedim Gürsel.

Actes Sud, collection Lettres turques, janvier 2022, 176 pages, 21 €, ISBN 978-2-330-16131-6. Mehdi’yi Beklerken Iran’a Yolculuk (2019) est traduit du turc par Pierre Pandelé.

Genres : littérature turque, essai littéraire, récit de voyage.

Nedim Gürsel naît le 5 avril 1951 à Gaziantep (sud-est de l’Anatolie) en Turquie mais il passe son enfance chez son grand-père à Balıkesir (région de Marmara) avant d’être interne au lycée de Galatasaray à Istanbul. Dès le début des années 70, il publie des textes dans des revues littéraires et étudie ensuite les lettres modernes à la Sorbonne à Paris (thèse de littérature comparée sur Louis Aragon et Nâzım Hikmet en 1979). Il partage son temps entre Paris (il est professeur à la Sorbonne et à l’Institut national des langues et civilisations orientales) et Istanbul. Il est auteur de nombreux romans, nouvelles, récits mais je n’ai encore jamais lu cet auteur et je suis contente de le découvrir pour le Printemps de la littérature turque.

Voici le début. « Au retour d’Iran, à l’aéroport Imam Khomeiny de Téhéran, alors que nous patientons pour passer les contrôles de rigueur, j’engage la conversation avec un compatriote. L’homme, dont tout laisse à penser qu’il est un homme d’affaires, me demande la raison de ma présence en Iran. Je lui réponds que je suis venu en touriste, découvrir le pays ; cela semble le plonger dans une certaine perplexité. ‘– Vous n’avez pas trouvé d’autre pays à visiter ? me fait-il. – Vous ne pouvez pas dire ça. C’est une pays fascinant avec une histoire plurimillénaire et un système politique unique en son genre. – Moi je dirais surtout qu’ils sont assis sur un tas d’or et passent leurs journées à glander.’ Je préfère ne pas relever. Je suis encore marqué par mon expérience de l’Iran et mes souvenirs d’enfance qui lui font écho. » (p. 9).

Dans cet essai, Nedim Gürsel raconte son voyage en Iran sur les traces des lieux saints mais aussi des Iraniens, des poètes et de la culture iranienne. Il est parti avec Tijen Burultay, responsable photo du magazine Magma et deux Iraniens. « Sans leur aide, nous n’aurions jamais pu visiter le pays d’un bout à l’autre et découvrir tant de merveilles. Pour des raisons que j’aborderai plus tard, il n’est pas aisé de voyager en Iran ; celui qui part à la rencontre de ces hommes et femmes passant supposément leurs journées ‘assis sur un tas d’or à glander’ s’en trouvera pourtant largement payé en retour. » (p. 10).

Que ceux qui se sentent déçus que je présente un auteur turc parlant de l’Iran dans le Printemps de la littérature turque ne le soient pas parce que l’auteur fait des parallèles, des comparaisons entre la Turquie et l’Iran ; il parle de ses découvertes littéraires aussi bien classiques comme la poésie d’Omar Khayyām, La chouette aveugle de Sādegh Hedāyat ou contemporaine comme le poète Saïd Fekri et Sirènes rouges de Téhéran de Shahzadeh İgual (elle a écrit son roman en turc mais il n’est pas traduit en français) et aussi de la gastronomie (les plats de riz, les confiseries et même les alcools), etc. « Je me contenterai de raconter ce que j’ai vu et compris de l’Iran à la lumière de ce que j’en savais. » (p. 11). Nedim Gürsel a un avis précis : « Je ne pense pas qu’il appartienne à l’État de se mêler de la manière dont ses citoyens s’habillent, de ce qu’ils boivent ou mangent. Mais l’Iran est un pays musulman à nulle autre pareil. Son régime est théocratique mais sa culture, son mode de vie et ses forces vives n’ont rien d’archaïque. Ce n’est pas non plus un pays du Moyen-Orient comme les autres, et j’en ai fait l’expérience tout au long de ce voyage. La culture iranienne, qui remonte à des temps immémoriaux, se réclame d’un passé impérial prestigieux et s’honore d’une littérature qui gagnerait à être connue de tous. » (p. 12).

Alors, vous êtes prêts pour le voyage ? Commençons par Téhéran, ses rues, ses hôtels, ses cafés, ses écrivains avec leur nihilisme et leur mal-être, ses mémoriaux, ses palais, ses librairies et ses bouquinistes, sa censure… « Qu’on m’autorise à rappeler à cette occasion que la censure frappe également en Turquie, même si l’espace laissé à l’amour et aux mœurs y est bien plus large qu’en Iran, en littérature comme dans la vie de tous les jours. » (p. 32).

Nous continuons le voyage ? La région de Khorassan dans le nord-est de l’Iran avec Meched (la deuxième ville du pays) et la petite ville poussiéreuse de Nichapour avec le mausolée d’Omar Khayyām (XIe-XIIe siècles), « J’ai quitté atterré ce bas monde, j’ai trépassé / Mes perles de savoir jamais ne seront plus percées / Faute à la folie des ignorants / Je laisse mille idées irisées qui jamais n’auront essaimé. » (p. 49) et le mausolée de Farīd al-Dīn ‘Attār (XIIe-XIIIe siècles), « mystique auteur du Cantique des oiseaux » (p. 51), « La chaleur vient non du four, mais du feu / La grâce n’est pas une couronne, c’est une pelisse / Ce que tu cherches n’est pas à La Mecque, ni à Qods / Ce que tu cherches, quoi que tu cherches, est en toi. » (p. 55). Puis Tus qui « abrite la dernière demeure du plus grands des poètes iraniens, celui que les Iraniens considèrent comme le sauveur de la langue persane : Firdoussi, né vers 930 et mort aux alentours de 1020 après J.-C. » (p. 57), auteur du Livre des rois (Chāhnāme), « œuvre fleuve comptant pas moins de soixante mille distiques » (p. 57), œuvre que Nedim Gürsel considère comme un « immense récit ‘tolstoïen’ […] où se mêlent guerres et paix, hommes et dieux, […] partiellement inspiré du livre saint des zoroastriens, l’Avesta. » (p. 58).

Direction ensuite Hāfiz et ses jardins dans le sud-ouest de l’Iran, dans « la province du Fārs qui a donné son nom à la Perse. […] le cœur de l’Iran. » (p. 73) sur les traces de Yahya Kemal, poète et écrivain, ou plutôt sur les traces de son poème, La Mort des mystiques (1933). Persépolis, Chirāz, Ispahan… où l’auteur parle beaucoup de Pierre Loti, considéré comme un grand orientaliste (p. 117-118). Je note de lire si possible Le meilleur des jours de Yassaman Montazami dont l’auteur parle avec force (p. 140-144).

Nedim Gürsel emmène ses lecteurs dans un très beau voyage non seulement géographique et religieux mais aussi historique, mythologique, littéraire, poétique avec une plume alerte et érudite mais lisible par tous alors je vous conseille vivement ce récit de voyage sans concession si vous êtes intéressés par la Turquie et l’Iran, ou simplement curieux. J’ai de mon côté appris beaucoup de choses tant aux niveaux mythologique, historique et géographique que littéraire.

Pour le Printemps de la littérature turque bien sûr mais aussi Bingo littéraire d’Hylyirio (catégorie 28, témoignage ou autobiographie, 4e billet), Challenge lecture 2022 (catégorie 57, un livre dont la couverture comporte un élément météorologique, ici ciel de nuit étoilé et nuages), Petit Bac 2022 (catégorie Lieu pour Iran), Tour du monde en 80 livres (Turquie), Un genre par mois (en juin, biographie, essai, récit de voyage…) et Voisins voisines 2022 (Turquie). Et le nouveau Shiny Summer Challenge 2022 (menu 3 Sable chaud, option 2 Une oasis dans le désert = le voyage d’une vie).

20 réflexions sur “Voyage en Iran de Nedim Gürsel

  1. Emmanuelle Carpenter dit :

    J’ai découvert cet auteur avec le Printemps de la littérature turque et je suis plus que séduite. Je vais le relire prochainement avec Les filles d’Allah.

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    • Je relirai moi aussi cet auteur mais peut-être pas avant la fin de juin pour le Printemps de la littérature turque parce que le Mois espagnol continue en juin et que c’est aussi le Mois anglais en juin 😉

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